Molière, Tartuffe , Acte V, Scène III

Longtemps aveugle, Orgon comprend désormais l’imposture de Tartuffe — son intention de le dépouiller, de le compromettre irrémédiablement auprès du Prince.

La situation est critique, et tout paraît perdu.

Orgon, néanmoins, prend le temps d’offrir au public — et de se formuler à lui-même1 pour réaliser ce qui lui arrive — un merveilleux résumé en douze vers et cent quarante-quatre syllabes du parfait renversement opéré par le traître.

Nous saisissons comme jamais, grâce à ce sidérant bloc de sens, la machination de Tartuffe . Aucune circonstance atténuante : son dessein est noir.

Aux actions généreuses et immédiates d’Orgon — je recueille, je loge, je donne — répondent les brutaux infinitifs du monstre : suborner, menacer, chasser, réduire .

À l’hospitalité fraternelle, la violence de qui s’emploie à dépouiller de ses biens l’homme qui l’a tiré de la misère — l’infamie de qui le chasse et retourne contre lui l’arme de ses bienfaits pour le réduire à la ruine.

Impitoyable symétrie.

Notons que celui dont Tartuffe se recommande — et qui aveuglait Orgon au point de sacrifier sa famille à son hôte — est ici absent : l’imposteur est nu , sans les oripeaux de la foi, coupé de l’absolu qui est sa justification.

Le résumé sec et immanent de l’acte V est condamnation sans appel .

Il nous faudra un peu de patience encore pour voir, en un renversement ultime, symétrique du premier, Tartuffe traîné en prison… lui qui croyait triompher en se débarrassant d’Orgon, lui qui lance encore à l’officier de police venu l’arrêter : « Daignez accomplir votre ordre, je vous prie. »2