critique &
création culturelle
À-Vide
Une « histoire de rien »

Dans l’atmosphère simple et intime du théâtre du Boson, la danseuse et comédienne Charlotte Simon, accompagnée de Jérôme Paque à la guitare, tente d’exprimer ce que signifie le vide. Mis en scène par Aurélien Dony, le spectacle À-Vide est un quasi seul en scène où nous rencontrons Charlotte, une jeune femme timide, qui n’a rien à raconter, mais qui, surtout, est venue danser le vide qu’elle ressent dans son ventre.

Exprimer la thématique du vide, c’est le défi que se sont lancés Aurélien Dony et Charlotte Simon. Au départ, je trouvais ce thème quelque peu déconcertant. Que peut-on dire sur le vide ? À mon sens, Charlotte tente de l’aborder de plusieurs manières, que ce soit par le texte ou par la danse.

D’abord, elle se présente à nous. D’une voix peu assurée, elle marmonne, presque de manière frénétique, qu’elle ne sait pas par où commencer. On la voit stressée, anxieuse, ce qui donne l’impression qu’elle est sortie du spectacle, et que nous n’avons plus devant nous qu’une femme qui ne sait pas où se mettre. Elle nous explique le vide sur le plateau, face au public, l’angoisse, elle ressent un poids, des nœuds dans son ventre. La peur du vide arrive à la limite du pathologique, elle accélère son discours et se répète :

Cette peur immense de
Je sais pas
Soudainement se perdre dans tout ce vide-là tout ce vide du plateau
Soudainement là
Sur la scène là soudainement tu te dis
Merde Merde
j’ai peur, j’ai peur de tout ce vide du plateau

Charlotte finit par « soigner » sa peur du vide du plateau avec la danse :

Bref
Alors comme j’ai peur si peur de tout ce vide du plateau
D’abord je danse
Je danse tu vois
Je danse je prends l’espace
Je danse

À-Vide n’est donc pas une pièce de théâtre « classique », avec une trame bien identifiable. Ici, on a affaire avec une performance, mêlant texte poétique et danse contemporaine, autour de la thématique du vide. En prenant du recul, j’ai réalisé que le vide pouvait être paradoxalement un thème très libre, que beaucoup de personnes peuvent ressentir en eux de manières très différentes. La parole de Charlotte révèle que le vide est un ressenti négatif, angoissant pour certaines personnes, mais qu’il peut être aussi très positif. La jeune femme exprime l’évolution de son ressenti du vide au fil du spectacle : le vide est d’abord associé à la peur, au stress. Mais peu à peu, Charlotte trouve dans le vide un réconfort, ce qui était source d’angoisse devient source de bien-être, de liberté :

Je danse mon vide
C’est affolant comme cette histoire ne rime à rien
Vous l’avais dit
Mais voulais ce soir vous dire la légèreté de ma danse
Et le bonheur du vide

Tout ce bonheur d’entendre
Le silence du monde
Dans la danse de mon vide

J’ai beaucoup aimé la mise en scène. Elle est guidée par la danse et le discours de Charlotte Simon, rythmée par des pots de sable suspendus au plafond qui se balancent comme des pendules sur le plateau, et enfin accompagnée par la magnifique musique de Jérôme Paque à la guitare. Le début du spectacle qui exprime le ressenti angoissant du vide est accompagné d’un discours qui est déclamé de manière stressée, rapide. La danse est elle aussi rapide, emplie de mouvements brusques et saccadés. Jérôme Paque accompagne cette angoisse avec de la guitare électrique.

Au fil de la pièce, le vide n’est plus une source d’angoisse mais devient un réconfort. Ainsi, la mise en scène inspire une atmosphère douce et sereine, les pots de sable se vident petit à petit, révèlent l’écoulement du temps et également le passage du vide angoissant au vide réconfortant. La musique n’est plus à la guitare électrique, mais à la guitare acoustique, plus douce et paisible.

Il y a une réelle cohérence entre les mouvements de danse contemporaine de Charlotte, qui se baisse pour éviter les pots de sables, se relève et finalement danse en harmonie avec le balancement des pots. Tout ceci impose un rythme à la performance.

Le spectacle ne semble pas vouloir instruire le public. Toutefois, Charlotte s’adresse continuellement à celui-ci. Elle veut lui communiquer le réconfort que le vide lui apporte. Ainsi à la fin de la pièce, Charlotte, tout en dansant, s’exclame :

Moi je danse
Que sais-je moi
Ce que sera ta danse
Ce que sera ton cri

Je ne sais pas
Si ce que je dis
Dénouera ta peur
Dans ton ventre

Je ne sais pas si
Tu sortiras d’ici
Grandi de mon histoire

J’en sais rien

Je suis venu te dire
Qu’un arbre
A planté ses racines
Dans le vide de mon ventre

Et que je danse
Je danse le vide

Quand Charlotte dit qu’elle ne sait pas « ce que sera ta danse, ce que sera ton cri », elle permet à chacun et chacune d’avoir l’opportunité de s’identifier. Chacun peut ressentir le vide, qu’on le vive bien, mal, qu’il nous accompagne souvent ou non. Cependant, la jeune femme n’oblige personne, elle dit bien qu’elle ne sait pas si « tu sortiras d’ici grandi de cette histoire ». Le spectateur ou la spectatrice a alors la liberté de se reconnaître ou non dans le discours de la comédienne.

Enfin, cette performance met en lumière le fait que le spectacle ne doit pas toujours parler d’une histoire bien ficelée ou bien identifiable, le spectacle parle ici d’une thématique, familière ou non aux spectateurs et spectatrices. Parler du vide élargit donc le champ des possibles et montre qu’on peut parler d’histoires de rien.

Même rédacteur·ice :

À-Vide

Écriture  et mise en scène : Aurélien Dony
Avec Charlotte Simon et Jérôme Paque
Assistanat : Nathalie De Muijlder
Scénographie : Alissia Maestracci et Baptiste Wattier
Costumes : Charlotte Simon
Musique : Jérôme Paque
Régie : Inès Degives
Une création de L’Absolu Théâtre, a vec le soutien du Centre Culturel de Dinant, du Centre des Arts Scéniques et du Boson