Pendant le Kunstenfestivaldesarts, Boris Charmatz était de passage au musée de la danse avec danse de nuit. C’était donc l’occasion de donner suite à une expérience vécue en 2015 lors du même festival, mais avec une autre pièce, Manger.

À la fin de la représentation, une danseuse s’est appuyée sur moi pour ramasser en (dés)équilibre un petit bout de papier et le porter à sa bouche… Confortable/inconfortable, Manger m’a saisi et revigoré pour longtemps. (Mai 2015.)

Deux ans plus tard, me revoici au rendez-vous de Boris Charmatz. Cette fois, ça ne se passe plus au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles mais à l’extérieur, à deux pas de la gare du Midi, sur le béton du terrain Sibelga, en contrebas de la voie ferrée.

Il est 22 heures 15. La nuit est tombée. Les acteurs/danseurs rassemblent le public épars : c’est par là que ça se passe. Et ça bouge, ça va bouger — pour tout le monde.

Le dispositif est à la fois simple et bluffant : quatre porteurs de lumières, presque constamment en mouvement, éclairent le spectacle. Les spectateurs suivent comme ils peuvent les ombres et les corps. Souvent, ce sont les voix des performeurs qui les (dés)orientent : « Move, move ! On bouge ! » Chacun assiste et participe aux multiples déploiements des six acteurs/danseurs. A envie de voir les chorégraphies, d’entendre les paroles des uns et des autres. Sans cesse il faut choisir parmi ces actions et ces discours lancés de tous côtés. La surabondance des séquences individuelles et des interactions est pleinement assumée : « Pour cette pièce, j’ai envie d’aller vers la pléthore : pléthore de gestes, de mots, de formes », annonçait Boris Charmatz dans un entretien avec Gilles Amalvi.

Dans la pénombre, je dépasse danseuses et danseurs, épuisés.

Ça parle, ça crie, ça gueule. Multiples sont les thèmes évoqués. Charlie Hebdo, Reiser, humour et danger, politique, cinéma, sexe, résistance et ironie. Ce qui reste en travers de la gorge et du cerveau. Ce dont les corps et les voix cherchent à rendre compte, à se libérer, en le ressassant. L’éphémère tente de dire l’indicible qui nous hante.

Parmi les textes : le témoignage de Patrick Pelloux sur Radio France le 8 janvier 2015, la magnifique poésie obsédante du regretté Christian Tarkos, une chanson de NTM, cent autres choses.

La parole et le souffle dansent ; la danse parle. La nuit remue.

Le spectateur se rapproche. Risque d’être bousculé, de prendre un coup — alors il s’écarte un peu, il se déporte. Le sentiment d’urgence1 est au cœur même du projet.

Expérience personnelle. Soulevé par l’un des danseurs pendant quelques longues secondes, je le vois s’accrocher à mes mollets et ramper sur le sol. Ni peur ni mal. Au bout du compte, la conviction d’avoir vécu l’un des spectacles les plus riches, touchants et stimulants du Kunsten 2017.

Je regagne à pied la rue du Charroi par la route asphaltée libre de véhicules qui m’a conduit deux heures plus tôt sur les lieux de la représentation. Dans la pénombre, je dépasse danseuses et danseurs, épuisés. « On a joué dans le froid, sous la neige, le vent, la grêle. Mais aujourd’hui, c’était le pire, il faisait étouffant. »

J’en profite pour les remercier, chaleureusement.

En savoir plus...

Danse de nuit

Mis en scène et chorégraphié par Boris Charmatz
Avec Ashley Chen, Boris Charmatz, Olga Dukhovnaya, Julien Gallée-Ferré, Jolie Ngemi, Marlène Saldana
Mis en lumière par Yves Godin
Travail vocal de Dalila Khatir

Vu le 27 mai 2017 au musée de la Danse pendant le Kunstenfestivaldesarts 2017.


  1. Urgence confortable — nous sommes au Kunsten !