Guillemette Laurent signe au théâtre Océan Nord une mise en scène somptueuse de la Musica deuxième de Marguerite Duras.
Marguerite Duras écrit la Musica en 1965 dans le cadre d’une commande de fiction radiophonique pour la BBC. Le texte est ensuite adapté au théâtre mais semble incomplet, inachevé au regard de Duras qui, vingt ans plus tard, crée un deuxième acte : la Musica deuxième.
L’histoire de la Musica deuxième est a priori et somme toute commune, puisqu’elle décrit un événement classique dans l’évolution du duo amoureux : une rupture. Ma rupture, pourtant, ne ressemble pas à la tienne, aussi peu que ma douleur, mon chagrin, mon après puissent être comparables aux tiens. Celle des protagonistes de la Musica est pourtant unique au monde et parle – il est bien là le talent – à chacun des spectateurs présents.
Anne-Marie et Michel se sont aimés, se sont séparés et, désespoir oblige, ont songé respectivement au suicide ou au meurtre. Plus tard, ils s’en sont remis, croient-ils, et se sont tournés vers d’autres. Ils se retrouvent à la veille de la signature de l’acte de divorce au tribunal, pour voir. Voir ce qu’il reste d’eux et de ce qu’ils se portent.
La pièce débute par une sorte de théâtre dans le théâtre, comme pour laisser au spectateur le temps de s’immiscer dans l’intimité du couple et, davantage encore, d’être pris à partie. Feu le couple tantôt se vouvoie, tantôt se tutoie, comme rattrapés ci et là par eux-mêmes, ce qu’ils formaient ensemble.
Une table, des chaises, un canapé, un téléphone au fond de la scène composent le décor sobre de la pièce. Ils rient, ils pleurent aussi, s’avouent, règlent des comptes, se veulent, ne veulent plus rien d’autre qui puisse ressembler à ce qu’ils ont été. Ni avec toi ni sans toi, nous connaissons bien ça. L’histoire se déroule de nuit, à l’heure bleue, celle où l’on n’est nu quoi qu’on en veuille.
L’entêtante bande sonore est dans la langue bien connue de Duras et aussi dans le choix, très éclectique, des quelques mélodies : d’un Alex Beaupain, bien contemporain, à Beethoven recommandé par l’auteur.
Yoann Blanc et Catherine Salée, tous deux vus à la télévision dans la Trêve dernièrement (mais pas que !), incarnent, sans clichés dits durassiens , sans trop de sérieux ni de silences, ce couple véritablement habité. La mise en scène de Guillemette Laurent, audacieuse par son dépouillement et son réalisme, fait se côtoyer des « vêtements de tous les jours » en guise de costumes et une lumière brute qui inclut le spectateur.
À nous, ça a rappelé bien des choses, reposé bien des questions : pourquoi la langue de Duras nous obsède, et l’amour aussi, pourquoi l’amour ? Parce que l’amour.
Lisezl'entretien