Comment combler le fossé qui s’est creusé entre les communautés deux ans après les attentats sans éviter la redondance ? Loin de la comédie classique de Molière et de son personnage mythique, Touzani dépeint l’histoire de Pierre et Nordine que tout oppose. Il crée une véritable ode à l’interculturalité et au vivre ensemble.
Comment combler le fossé qui s’est creusé entre les communautés deux ans après les attentats sans éviter la redondance ? Loin de la comédie classique de Molière et de son personnage mythique, Touzani dépeint l’histoire de Pierre et Nordine que tout oppose. Il crée une véritable ode à l’interculturalité et au vivre ensemble.
Nordine est issu d’une famille arabo-musulmane et accorde une importance considérable à son travail de concierge. Il est également très attaché à sa femme, à sa religion, l’Islam, et est fortement concerné par l’éducation de ses enfants. Touzani peint ici une réalité qui semble se vérifier et qui apprend à mieux cerner les différences culturelles de l’autre et sa perception de la société occidentale. Il renvoie l’image d’une immigration qui s’est construite par le travail, sans relâche, et qui s’intègre à un contexte occidental (incarné par Pierre) entrant parfois en conflit avec ses valeurs.
Pierre, quant à lui, a été éduqué dans une famille monoparentale occidentale. Un univers qui, lors de la cohabitation, semble entrer en forte contradiction avec la culture de Nordine. La première idée qui nous vient à l’esprit est le vivre-ensemble dans la différence : cela va-t-il marcher ? Vont-ils parvenir à s’entendre ? Les deux personnages sont différents par leur façon de percevoir leur monde et de vivre leur vie. Tout semble les séparer jusqu’à l’annonce de Pierre expliquant la vraie raison de sa venue : Nordine est peut-être son frère et il veut s’en assurer. Cette confidence marque le début d’une véritable tentative de fraternité et de dépassement du « simple » multiculturalisme. En effet, bien plus que reconnaître les différences de chacun, les deux personnages principaux vont tenter de les concilier, de se comprendre et surtout de s’entraider.
En fond résonne la question des attentats et des nombreuses interrogations qui persistent dans les cœurs des citoyens belges. Cette réflexion, c’est le fils de Nordine qui la pose, en sabotant les statues d’un des emblèmes de la haute société : le théâtre. Ce vandalisme s’explique par le manque de considération accordée à sa parole dans le cadre scolaire.
La pièce est rythmée par des danses robotisées, pendant la réparation des statues vandalisées par exemple, agrémentées de jeux de lumières et de musiques futuristes. Cette ambiance fantasmagorique surprend et permet de percevoir les deux personnages comme un duo à la fois sérieux mais aussi profondément drôle et attachant. Touzani ancre la pièce dans la réalité en utilisant la langue arabe dans les échanges entre Nordine et sa femme, de quoi faire rire le public maghrébin et belge dans la même salle (traduction présente sur écran géant).
En écrivant cette pièce, Touzani remet au goût du jour le théâtre comme vecteur de socialisation et de pont entre les communautés. Le théâtre n’est plus réservé à une certaine partie de la population, il permet de découvrir l’autre et de mieux le connaître. L’auteur ouvre donc l’accès au théâtre aux personnes qui semblent moins s’y sentir à leur place.
Seule une question semble persister : Nordine et Pierre sont-ils frères ? Le suspense est à son comble à la fin de la prestation… Cela n’a cependant guère d’importance, l’essentiel restant que les Enfants de Dom Juan est incontestablement une invitation au théâtre et rappelle l’importance de travailler à ce grand projet interculturel que suggère la vie en société.
Dounia Koubaa