critique &
création culturelle
Les paradoxes
de Philippe Vauchel

Le Cri du huard sur le lac à la tombée du soir , écrit et interprété par Philippe Vauchel, est un spectacle atypique qui perturbe les conventions théâtrales et joue sur une série de paradoxes. Du théâtre intime à l’intersection du quotidien banal ou loufoque, de l’angoisse et de la tendresse.

Une aire de jeu originale

Les spectateurs qui attendent le début du spectacle dans le foyer sont accueillis par le comédien qui comptait nous emmener dans son appartement mais y renonce sans qu’on sache trop si c’est parce que nous sommes trop nombreux ou parce que sa femme n’a pas envie de nous recevoir. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, le comédien improvise un cadre chaleureux qui tente de reconstituer son salon dans une petite salle du théâtre. Bien entendu, tout cela était prévu, mais chacun se retrouve dans une situation inhabituelle par sa proximité avec les autres spectateurs qui encerclent une partie de la zone de jeu. Ils sont interpellés, invités à réagir, à prendre l’apéritif et… à attendre le retour du comédien qui quitte régulièrement l’aire de jeu.

On pourrait imaginer, ou craindre, un spectacle participatif où le spectateur devient un acteur à part entière. Mais les interventions des spectateurs, si elles sont possibles, sont très cadrées et le plus souvent anticipées. Elles n’ont qu’une incidence très marginale dans le déroulement du spectacle. Le dispositif vise avant tout à créer une ambiance insolite et « intranquille » , pour reprendre un terme cher à l’auteur.

Le Cri du huard… est construit comme le monologue d’un quidam qui cherche à engager la conversation en veillant au bien-être de ses invités. Il n’y pas d’autre fil conducteur qu’un principe d’association d’idées qui peut laisser une impression d’improvisation mais donne surtout son rythme et son dynamisme au spectacle grâce aux ruptures de ton et aux coq-à-l’âne qui se succèdent. Phillippe Vauchel mixe le quotidien banal aux anecdotes loufoques , les souvenirs d’enfance aux faits divers de la DH , les fixettes un peu pathétiques (cette lumière au grenier qu’on oublie toujours d’éteindre) aux angoisses existentielles (la position dans le lit qui trahit la peur du vide), les digressions grotesques (les bienfaits de l’isolement dans les WC) ou allumées (l’ADN des paillassons ou le fameux cri du huard). C’est drôle et tendre, trivial et onirique, avec un souci constant de créer une intimité et non une performance comique ou poétique.

Théâtre de l’intime, entre autobiographie et art poétique

Ce genre de spectacle se nourrit forcément du vécu de l’auteur-interprète. L’attachement à sa campagne natale, la nostalgie de la figure paternelle, l’aptitude à (se) raconter des histoires ancrées dès l’enfance (un des grands moments du spectacle), sa difficulté à gérer les aspects pratiques et concrets de la vie quotidiennes sont des données biographiques bien réelles. Mais l’originalité du spectacle tient au moins autant à la façon dont Philippe Vauchel conçoit l’acte théâtral qu’à l’authenticité des éléments narratifs mobilisés . Son spectacle est le résultat d’une tension entre une préparation minutieuse (une écriture et une technique de jeu extrêmement rigoureuse) et une mise en danger constitutive du théâtre qui fait que, à l’instar de l’inconnue rêvée par Verlaine, chaque représentation du Cri du huard… ne sera ni tout à fait une autre ni tout à fait pareille .

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Même rédacteur·ice :

Le Cri du huard sur le lac, à la tombée du soir
De et par Philippe Vauchel
Une coproduction du Théâtre de Namur et du Théâtre Le Public.
À Bruxelles, au Public, jusqu’au 18 octobre