critique &
création culturelle
L’Héautontimorouménos
voyage dans les limbes baudelairiennes

Benoît Verhaert nous propose de découvrir Baudelaire dans son nouveau spectacle L’héautontimorouménos . Avec Delphine Gardin et Gilles Masson, nous sommes transportés dans une atmosphère poétique, musicale et sensuelle.

« L’héautontimorouménos » est un poème qui fait partie du recueil les Fleurs du mal de Charles Baudelaire. Le poète était une personnalité forte, il faisait tache dans le paysage littéraire de la moitié du XIXème siècle et était violemment critiqué de son vivant. C’était un dandy profondément pessimiste qui méprisait la société de son temps, et se fichait des bonnes conduites. Admirateur passionné de la beauté et du mal, il ne pouvait pas envisager l’une sans l’autre. Son spleen légendaire et sa personnalité atypique ont fait de lui un écrivain marquant l’histoire de la littérature française.

Le spectacle, qui reprend le titre du poème de Baudelaire, propose une adaptation tout à fait originale, mêlant le théâtre, la poésie de Baudelaire et le rock. Mis en scène par Benoît Verhaert et joué par Delphine Gardin, Gilles Masson et le metteur en scène, cette soirée nous invite dans la tête de Baudelaire, au coeur du spleen et du mal.

© Bernard Joassin

Le spectacle est proposé au Boson, une petite salle chaleureuse, dans une ambiance de café-théâtre où l’on peut consommer une bière ou un jus de fruit. Les lumières de couleurs mêlées à la pénombre de la pièce nous propulsent dans une ambiance très intime et sensuelle. Installée confortablement dans son fauteuil en sirotant sa boisson, on peut déjà observer un décor simple mais qui fait tout de suite sens quand on sait qu’on va voir un spectacle sur Baudelaire. Sur scène se trouve un bar en bois, sur lequel sont posés plusieurs objets : des élixirs colorés dans des cruches en cristal, des livres, un crâne et des guitares. C’est une sorte de nature morte qui annonce le spectacle.

Les acteurs s’emparent de la scène de manière endiablée avec un concert rock mêlant le chant, la guitare électrique et une présence scénique envoutante. Mais que veut dire au juste « héautontimorouménos » ? Baudelaire a repris ce titre d’une pièce de théâtre de Térence. Il s’agit d’un mot grec qui signifie « bourreau de soi-même ». Dès lors, on comprend directement le registre du poème et du spectacle. Le poète y explique son sentiment de solitude et les douleurs masochistes qu’il s’inflige. Il devient alors son propre bourreau et l’exprime, le crie haut et fort :

Ces vers sont repris tels quels dans le spectacle, chantés et criés par les acteurs. Ils expriment parfaitement ce qui se trouve au coeur des poèmes de Baudelaire : ce dégoût et cet ennui profond qu’il éprouve. Un grand désespoir qu’il définit comme le spleen.

© Théâtre de la Chute

Lors de la soirée, Baudelaire est mis en scène accoudé au bar. Il nous livre ses réflexions sur la vie, ses pensées et ses tiraillements. Il est accompagné de ses démons intérieurs, représentés par la chanteuse Delphine Gardin et le musicien Gilles Masson, qui reflètent les tiraillements de l’âme de Baudelaire. Ils boivent un élixir vert, qui s’apparente à l’absinthe qu’ils servent dans des coupes de cristal.

Entre la boisson et le rock, ils nous déclarent : « Il est l’heure de s’enivrer ! », ça serait le seul remède face à cette vie aussi ennuyeuse que désespérante. Dans sa réflexion, Baudelaire, interprété par Benoît Verhaert, aborde sa définition très personnelle du dandy :

Voilà la place que veut prendre l’écrivain dans la société : être beau et rien d’autre. À cela s’ajoute son « plaisir aristocratique de déplaire ». En effet, Baudelaire est mis en scène comme un provocateur, qui se fiche des bonnes convenances et qui n’a qu’une idée en tête : se laisser aller à ses plaisirs, ses fantasmes et s’enivrer.

© Théâtre de la Chute

Toujours dans la veine de la provocation, le spectacle met en avant le côté satanique et mauvais de Baudelaire. Avec des lumières chaudes, de la fumée qui englobe la scène, du rock et de la sensualité, les acteurs nous font plonger dans un monde entre les enfers et les lieux de débauche. Le jeu des acteurs, très impressionnant, est évocateur de la pensée de Baudelaire. Delphine Gardin et Gilles Masson jouent les diables, séducteurs, provocants et maléfiques. Ils tournent autour de Baudelaire qui s’abandonne à ces plaisirs interdits et tabous de la société du XIXe siècle. Leur jeu, mélangé au chant et à la performance, forment un accord parfait . L’idée d’allier le rock avec cet environnement de débauche est très cohérente et donne envie au spectateur de se laisser aller avec les acteurs.

La pièce finit avec une référence à la Belgique : Baudelaire a produit quelques écrits sur notre pays qui n’étaient pour le moins pas avantageux. Dans son pamphlet contre la jeune Belgique, le poète n’épargne personne :

Ce clin d’oeil pour le moins cocasse donne une réponse presque deux siècles plus tard aux propos de Baudelaire.

L’héautontimorouménos est un spectacle plein de séduction et de sensualité, qui nous en apprend encore plus sur ce poète qui a marqué son temps et qu’on continue de lire aujourd’hui. On nous invite à prendre un verre avec Baudelaire, à pénétrer dans son monde, à scruter ses pensées et à se laisser enivrer de ses mots. Une soirée musicale et poétique qui nous donne envie de trinquer à la la beauté et au spleen légendaire du poète.

Même rédacteur·ice :

L’héautontimorouménos

D’après les textes de Baudelaire
Conception et mise en scène : Benoît Verhaert
Avec Delphine Gardin , Gilles Masson , Benoît Verhaert
Composition musicale : Gilles Masson
Scénographie : Pauline Maréchal
Assistanat à la mise en scène : Tiphanie Lefrançois
Création lumière et régie : John Cooper
Une production du Théâtre de la Chute

Vu au Boson le 09 octobre 2020