Splendeur, misère
de Gorge Mastromas
Après Taking Care of Baby , Jasmina Douieb revient aux textes de l’auteur britannique Dennis Kelly avec l’Abattage rituel de Gorge Mastromas . Les questions du mal et de la morale sont au centre de cette pièce où mensonge rime avec puissance… Mais à quel prix ?
Ambiance sobre, lumières verdâtres et cloisons en plastique… Dans cette atmosphère aseptisée, un ballet de blouses blanches pose précisément le diagnostic de Gorge Mastromas. Cinq médecins surexcités dissèquent l’enfance du jeune homme dans un discours dynamique et rythmé. La description cocasse et ironique du personnage se concentre sur certains épisodes particuliers. Ce qui nous intéresse, ce sont ces moments où Gorge a toujours choisi de se comporter de la manière la plus honnête et morale. « Bonté ou lâcheté ? » lance le chœur à plusieurs reprises. Ce qui est certain, c’est que cette attitude l’a confiné à une vie moyenne, une vie qui ressemble à du papier peint marron qui suinte.
Mais dans la vingtaine, alors que son patron est au bord de la faillite, Gorge Mastromas comprend. En quelques secondes, sa vie bascule. Il entre à ce moment dans la confrérie des puissants qui savent comment posséder le monde. Pour cela, il lui suffit de suivre trois règles :
-
Quand tu veux quelque chose, prends-le.
-
La seule chose requise pour prendre ce que tu veux c’est ta volonté absolue et ta faculté de mentir.
-
Ne pense jamais aux conséquences. Ne regrette jamais.
Une fois qu’il a découvert le pouvoir de ces règles, la progression de Gorge est sans pareille. Il devient riche puis très riche et encore plus riche. Pour cela il ment, encore et encore, sur sa vie, ses affaires et son passé. Le chœur de blouses blanches accompagne Gorge dans son ascension malsaine. D’une scène à l’autre, un personnage enlève sa blouse pour se confronter à Gorge dans les épisodes qui rythment sa vie. Pour les autres qui suivent les scènes, il ne s’agit plus alors d’un diagnostic mais d’un abattage. L’abattage rituel de Gorge Mastromas se déroule sous nos yeux.
Le spectacle questionne les notions de bien et de mal, du respect ou non de la morale et ce, dans une analyse quasi médicale. Le plus frappant est que le comportement de Gorge ne nous est pas si étranger que cela. Mensonges et désir de puissance sont effectivement au centre du néolibéralisme toujours grandissant dans le fonctionnement de la société. Alors, fallait-il rester enfermé dans sa vie pâle et triste ? La question n’est pas si simple. Comme le dit Jasmina Douieb : « Le personnage principal est intrigant. Ange déchu ou démon masqué ? Manipulé ou manipulateur ? Il a certes une dimension diabolique. Mais le texte ne tranche pas. » Bien évidemment, une vie bâtie sur le mensonge ne peut se dérouler sans accroc…
Mention particulière pour la scène d’introduction qui, par son rythme, sa chorégraphie et son esthétique, emmène instantanément le public dans l’univers noir mais burlesque de la pièce. Les comédiens, tous fantastiques, sont plein d’énergie dès les premières secondes et offrent de magnifiques tableaux au public. Le choix de la scénographie, placer ces personnages dans un lieu entre hôpital et abattoir, est très parlant. Esthétiquement, cela fonctionne parfaitement. Or, la fin de la pièce n’est pas aussi marquante que cette première scène très prometteuse. Elle donne un ton qui ne sera donc pas poursuivi dans la suite du spectacle, et c’est dommage. Il n’empêche que l’intensité de l’Abattage rituel de Gorge Mastromas dans son entièreté reste indéniable.