critique &
création culturelle
En DM avec la jeune, talentueuse,
Akasappy

Dans cette galerie estivale de Karoo , nous savourons un échange insta-épistolaire avec Akasappy, jeune illustratrice affirmée et artiste en devenir. Pour découvrir son travail, double rendez-vous en juin à la galerie Michel Journiac et à l'Echomusée de Paris.

Lundi soir. Tu es allongée sur le canapé, tu scrolles comme un automate des vidéos drôles de chats et de chiens, et, tout d’un coup, un autoportrait d’une jeune illustratrice semble parler du rapport à ton corps.

En parcourant le profil de Akasappy , ses œuvres dotées d’une inexplicable intensité, tu t'identifies toujours un peu plus. Tu te reconnais dans ce moment de nudité qui a lieu chaque matin, quand tu te brosses les dents. Quand tu te regardes dans le miroir et que tu t'interroges sur l’image fluctuante de toi-même. Surprenant comme l’art peut nous réveiller à des moments si inattendus.

Alors, dans cette galerie Karoo de juin , nous allons passer en DM avec l’artiste Akasappy, 22 ans, Parisienne et auteure de ce fabuleux cliché. Pour lui demander, directement, le secret de cette force communicative.

Bonjour Alice, comment vas-tu ?

Bonjour ! Ça va très bien, je ne pensais pas  mettre un jour de côté mon statut de rédactrice Karoo pour parler à mon tour de mon travail sur la plateforme, merci de m’en donner l’occasion !

D’où nous écris-tu précisément en ce moment ?

Là, je suis au bout du monde, à Taipei, et je fais les frais du décalage horaire…

Et si tu pouvais choisir de nous écrire de n’importe quel lieu du globe terrestre, ce serait lequel ?

Je suis déjà bien assez loin sur Terre, alors disons… la petite table, là, à côté de moi, au lieu de mon lit.

Quels seraient trois objets autour de toi qui sont représentatifs de l’artiste Akasappy ?

Je pense que mon univers est très lié au miroir, à ce qu’il représente, mais ça c’est évident. Pour les deux autres objets, je dirais mon journal intime, et… mes post-it ?

Pourrais-tu nous présenter brièvement ton parcours scolaire et quelle partie de ce parcours a été plus formative pour toi ? Mais aussi les limites que tu as rencontré en tant que créatrice ?

Comme beaucoup de littéraires, j’ai fait un bac Arts Plastiques, en 2018, puis j’ai enchaîné avec une licence LLCER Anglais qui ne me correspondait pas du tout. Du lycée jusqu’à cette période, mon travail était principalement photographique et littéraire ‒ j’ai pu vivre, par exemple, l’expérience du Prix du Jeune Écrivain.

Après mon diplôme, j’ai tout voulu reprendre à zéro. Je me suis inscrite à la fac, en Arts Plastiques cette fois, et ça m’a donné un petit coup de boost niveau discipline. Je me suis attaquée à la peinture pour de vrai , aux grands formats, j’ai creusé les sujets qui m’intéressaient déjà, comme le corps, l’enfance, et j’ai continué d’appuyer sur les zones sensibles de mon esprit. Ça fait deux ans que j’ai commencé à vraiment travailler sur moi, sur le regard que je me porte, et je crois que ça se ressent dans ce que je fais.

Mes limites, pour l’instant, sont principalement matérielles. Lorsque je peins, je dois toujours sacrifier mon confort et me tasser dans un coin de chez moi, là où j’arrive à faire entrer une toile (j’ai mesuré : seulement 67 cm entre ma toile et moi !) J’adorerais avoir accès à un atelier, je sens que je pourrais y explorer plus sereinement mes idées, expérimenter sans risquer ma caution !

Quels sont les préoccupations intimes d’une jeune illustratrice ?

Je ne sais pas si je comprends parfaitement la question, mais je vais tenter d’y répondre. Je pense déjà que toutes les jeunes illustratrices ont des parcours variés, teintés de vécus différents, mais ce qui est sûr, c’est que mon âge et mon genre ont un rôle important dans ma création. Je traverse la vingtaine, perçois le monde et ma propre existence avec, je pense, plus de maturité, mais surtout je prends du recul par rapport à mon identité. Qu’est-ce que c’est, être une femme ? Ai-je vraiment envie de ce corps ? De toutes ses implications ? Moi, c’est quoi ? Beaucoup de questions de ce genre me taraudent, et j’essaie de faire la paix avec tout ça en me plongeant très frontalement dans l’intime, le laid, le fragile. C’est cathartique.

Pourrais-tu nous présenter en quelque mot le genre et les techniques de ta production artistique ?

J’ai fait un peu de tout : textes, photo, vidéo, dessin, performance, mais j’aime surtout utiliser la peinture, huile ou acrylique, presque toujours en m’appuyant sur des clichés pris à l’iPhone, avec flash, mauvais cadrage et tout le tralala. J’aime cette esthétique sur le vif , le dépouillement de la photo numérique, les ombres denses et les peaux blafardes.

Venons au cœur thématique de ton travail. Tes autoportraits semblent accorder une place unique au(x) rapport(s) si diversifié(s) que nous portons aux corps et à notre intimité. Quelle est ta relation avec le thème de l’autoportrait ?

Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu pour réflexe de me raconter. D’abord avec mon journal, puis en photo — je ne compte plus les séries d’autoportraits qui m’ont tirée d’une crise de déréalisation, enfin ancrée dans le présent, dans ma chair. Il y a quelque chose de magique dans le fait d’être son propre sujet, de pouvoir se regarder, s’intéresser à soi, autant qu’on le veut. À force de m’observer, j’ai trouvé un pouvoir singulier au potentiel de laideur d’un visage rendu exsangue par les pleurs, la colère, et j’ai eu envie de zoomer là-dessus : le pouvoir d’être moche . Finalement, mon grand nez bossu, mes yeux ronds, ma bouche asymétrique m’ont plu : vus de près, affrontés, ces défauts m’ont semblé être de parfaits sujets d’étude. Si aujourd’hui, je me sens plus à l’écart des diktats de beauté universelle, c’est grâce à cette approche curieuse et ouverte de mon corps et de ses particularités.

Aujourd’hui les produits créatifs se dématérialisent au profit des nouvelles technologies, mais en même temps ils s’en enrichissent mutuellement. Un grand débat est en cours sur le fonctionnement des intelligences artificielles qui s’approprient les données graphiques et stylistiques des illustrateur·rices, qui partagent leurs productions en ligne. Quel est ton point de vue à ce sujet ?

Je suis assez mitigée vis-à-vis des intelligences artificielles, et surtout de leur capacité à imiter un style. Je pense ne pas être la seule à trouver cela dangereux à la fois pour les artistes et pour la définition même de l’art. Cependant, l’IA peut très clairement être un atout pour les créatifs, et j’y ai moi-même parfois eu recours pour me rafraîchir les idées en termes de composition ou de gammes de couleurs.

La clé est de ne pas se reposer sur le produit fini, et de savoir rebondir sur ce que nous offre la machine.

Te laisses-tu inspirer par le travail de quelques artistes en particulier ? Tu as envie de nous partager trois profils à suivre ?

Je suis très inspirée par l’univers photo de Nan Goldin , ou encore par les peintures de Franz Gertsch, pour ne citer que des figures connues.

Puis il y a tout un tas d’artistes émergeant·es, indé·es, caché·es dans les recoins d’Instagram et du monde, comme la peintre Jenna Gribbon , férue elle aussi d’autoportraits et de scènes intimes, ou encore Hima Danaka , qui capte des ambiances comme personne, souvent à l’aquarelle. Globalement, j’admire la justesse de ces artistes, et ce peu importe le style. Leur travail m’encourage à me confronter toujours plus à la vérité.

As-tu des projets en chantier ? Où pouvons-nous continuer à te suivre et à supporter ton travail ?

Je travaille en ce moment sur l’écriture d’un court-métrage, mais je continue aussi de peindre et de réaliser des impressions sérigraphiées quand j’ai le temps ! Toutes mes créations sont en vente sur ma boutique Etsy .

Merci Akasappy d’avoir pris le temps de dialoguer avec nous et bonne route !

Même rédacteur·ice :

Akasappy expose le 6 juin à l’ Echomusée à Paris dans le 18ème !
Une expo collective du 6 au 20 juin est également prévue à la Galerie Michel Journiac .

Pour suivre Akasappy sur les réseaux…

Alice Crouzery écrit aussi pour Karoo : ses articles par ici !

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