L’univers illustré
Mise à l'honneur dans la première galerie Karoo de l’année 2023, Ani, de son vrai nom Anissa Ouzeroual, profite son expérience d'historienne de l'art et d'archéologue pour mettre en scène des personnages inspirés de mythes et civilisations anciennes, qui rendent au féminin sa puissance guerrière. Entretien.
Tu as un profil très riche : une ressource dans cette époque de pluralités. Pourrais-tu situer ton parcours et nous raconter comment ton travail d’illustratrice a évolué au cours de ta formation ?
Je n’ai pas eu un parcours académique classique. J’ai souvent essayé un domaine puis dévié vers un autre. Après avoir longtemps pensé cette inconstance comme une faiblesse, elle s’est révélée finalement une véritable force. Elle m’a permis d’acquérir une multitude de points de vue. J’ai eu la chance d’étudier l’histoire de l’art à Montpellier, le cinéma d’animation à Nantes, l’histoire à Cardiff puis j’ai débarqué à Bruxelles pour y réaliser mon master en Histoire de l’art et Archéologie à finalité musées et conservation du patrimoine mobilier à l’ULB. À Bruxelles, j’ai pu développer à la fois ma carrière académique comme ma carrière artistique ! Grâce à l’université, j’ai réalisé un stage en musée qui m’a offert la possibilité de faire des recherches sur des momies précolombiennes et j’ai pu publier quelques articles scientifiques. Désormais je suis doctorante mais aussi tatoueuse et illustratrice jeunesse.
Les interactions entre différents domaines de recherche ont le grand avantage de les nourrir réciproquement. Dans ton expérience personnelle, de quelle manière une discipline en inspire-t-elle une autre, et à quel moment le processus créatif s’installe-t-il ?
Je puise une grande partie de mon inspiration dans mes études en archéologie et en histoire de l’art. Je suis passionnée notamment par le Moyen-Âge et je pense que cet amour s’observe aisément dans mes illustrations. Je m’inspire beaucoup des personnages et des décors que l’on retrouve sur les enluminures. Je m’inspire des représentations mais surtout des récits ! Depuis toute petite, je suis fascinée par les contes et les folklores de cette période. De nombreuses illustrations représentent cet intérêt : la Bête du Gévaudan, Mandragora, Freyja, Princess Tuvstarr sont toustes des personnages populaires du folklore médiéval. Ces différentes interactions m’ont donné l’occasion d’allier mes deux passions : l’archéologie et l’illustration, notamment pour l’association Archéologie des Nécropoles (ADN) pour laquelle j’ai réalisé un «fouille book » pour apprendre les étapes de la fouille d’une sépulture.
Nous sommes curieux·ses : mis à part ta formation, cherches-tu l’inspiration dans d’autres univers ?
Je suis une passionnée de cinéma d’animation ! Je regarde tous les films et séries d’animation possible et ils m’ont tous influencée. Toutefois, c’est le travail de Tomm Moore et du studio d’animation irlandais Cartoon Saloon qui m’a véritablement marqué. Le film The Song of the Sea a été une révélation à la fois artistique et narrative.
Pourrais-tu nous éclairer sur ta pratique , sans nous dévoiler tes secrets ? Selon toi, quel est l'élément qui rend communicatif et « vivant » un personnage ?
Personnellement, je fais l’esquisse générale de mon personnage mais je termine toujours par son regard. Ce n’est pas forcément la bonne manière d’appréhender le character design mais c’est la partie qui selon moi finalise le personnage. Le regard lui donne vie, on peut jouer avec l’expression, faire percevoir des émotions simplement en dessinant des yeux. J’attache plus d’efforts à créer des personnages qu'à construire des paysages. J’adore imaginer leurs histoires et construire leurs personnalités. C’est pourquoi le personnage est au centre de mon travail, si bien que je me sers de la lumière pour les faire ressortir du cadre, leur donner un aspect mystique voir divin.
Rentrons dans la lecture symbolique de tes images. La place que tu réserves aux personnages féminins et à leurs créatures est importante. Peux-tu situer l’influence de ces récits dans ta vision actuelle du monde ?
J’avoue avoir été clairement influencée par mes études en archéologie du genre. J’ai eu cette première interaction avec les réflexions autour des genres à l’université de Nantes durant un cours sur les femmes mérovingiennes. Ce séminaire m’a complètement ouvert les yeux ! Il est possible d’étudier les femmes et leur place dans les sociétés anciennes alors que mon parcours universitaire n’avait mis que des hommes sur le devant de la scène. Dans mon travail d’illustration, je tente de mettre en lumière des femmes puissantes, guerrières qui ont réussi à s'extirper des normes de genre. Brunehilde est un personnage que j’ai illustré suivant les résultats de mes recherches en archéologie. En effet, j’ai travaillé durant deux ans sur un mémoire de recherche concernant les sépultures des femmes mérovingiennes. J’ai pu découvrir qu’une petite partie de femmes étaient inhumées avec des armes et que leurs corps présentaient des signes ostéologiques évidents de traumatismes lors de combat. Nous cultivons l’image de la femme médiévale restreinte à son rôle de mère et d’épouse, a contrario les données archéologiques prouvent que les femmes menaient bien d’autres activités et participaient certainement à l’effort de guerre.
Nous conclurons avec une petite projection dans le futur. As-tu des projets en cours ?
Un projet de publication est en construction avec la maison d’édition Glénat ! Pour découvrir tout cela, il faudra se donner rendez-vous l’année prochaine ...