critique &
création culturelle

    2017 selon nous (6)

    La rédac’ s’est mobilisée pour vous communiquer ses coups de cœur de l’année. Peut-être y découvrirez-vous des choses, peut-être en aurez-vous aimé certaines, ou peut-être ne comprendrez-vous pas certains choix. Dans tous les cas, laissez-nous une trace de votre pensée en écrivant un message au bas de chaque article, quel qu’il soit ! 2017 selon nous, c’est parti.

    La rédac’ s’est mobilisée pour vous communiquer ses coups de cœur de l’année. Peut-être y découvrirez-vous des choses, peut-être en aurez-vous aimé certaines, ou peut-être ne comprendrez-vous pas certains choix. Dans tous les cas, laissez-nous une trace de votre pensée en écrivant un message au bas de chaque article, quel qu’il soit ! 2017 selon nous, c’est parti.

    « All those moments will be lost in time, like tears in rain. Time to die. » Sauf qu’on n’a pas oublié, on n’a pas mouru. On a même attendu… trente-cinq ans. L’âge d’une génération pour avoir la suite d’un chef-d’œuvre. Il est là, le coup de maître : la filiation de Blade Runner 2049 est tellement réussie qu’on pourrait croire que le premier volet exigeait une suite.

    J’ai été le premier à critiquer l’annonce d’un second opus. Je ne voulais pas qu’on touche à l’original. Rien ne pouvait égaler le film de 1982, Harrison Ford, Rutger Hauer, mon fantasme Rachel, la musique de Vangelis, la lumière de Cronenweth, la réalisation de Scott. Rien. Et en même temps je n’attendais que ça.

    J’y suis allé anxieux comme un accusé, traîné en justice pour avoir idolâtré un film jugé aujourd’hui sexiste, lent et sombre, et dont je redoutais une vulgaire copie marchande. Mais 2049 n’est pas une copie. C’est un reflet, un négatif. Au paysage d’Hadès qui ouvrait le premier film, Denis Villeneuve répond par une campagne froide de panneaux solaires, étendue sur des kilomètres. Et, alors que de derrière nous arrivait un Spinner à toute vitesse, je l’admets sans rougir : j’ai versé ma larmichette. J’étais chez moi, dans mon souvenir.

    J’ai longtemps cru que c’était impossible, qu’on ne pouvait pas faire mieux, qu’il ne fallait pas essayer. Villeneuve, Gosling, Leto, Zimmer m’ont convaincu du contraire. Ce film, comme son aïeul, n’aura pas les critiques qu’il mérite et il devra attendre une dizaine d’années avant d’être reconnu à sa juste valeur. Et pourtant, il est parfait. Je le redis : parfait. Je pourrais faire un raccourci chic et vous dire que 2049 est le parfait répliquant de son original. Mais il ne s’agit pas de réplique.

    Je crois que je regretterai toujours de ne pas être né assez tôt pour voir Blade Runner sur grand écran. À la sortie de 2049 , j’ai eu le sentiment de combler un peu ce manque. Je n’ai pas vu non plus la première trilogie Star Wars au cinéma, mais ça ne me manque pas. Voir un épisode, c’est un peu les voir tous. 2049 n’est pas un épisode, ce n’est pas une suite, encore moins un remake.

    Ce film se suffit à lui-même et ne fait que rendre par moments hommage à ce qui l’a précédé. Il va beaucoup plus loin : il nous sort de la ville, il réhabilite la couleur, il ressuscite Atari, il casse les sacro-saints codes de la génétique pour imposer le mythe d’une filiation artificielle, il fait miroiter l’hologramme intelligent comme summum de la modernité (de l’humanité ?). Toujours en suivant le fil rouge que le premier opus avait déroulé : le souvenir ne suffit pas à distinguer le vrai du faux.

    À une exception près : Rachel avait bien les yeux verts…

    2. IAM 2017

    Jeudi 31 décembre 2015, 13 h 48. Je suis dans le Thalys. Je rentre à Paris pour le Nouvel An. Je reçois un mot de ma sœur sur Messenger. Elle me dit que le Père Noël est passé et qu’il a un « très très beau cadeau pour toi… » Elle me fait marronner cinq minutes… puis elle me balance ça :

    Je crie. Je réveille mon voisin. Je souffle. Je regarde encore le billet. 24 novembre 2017. 2017 ! Je re-crie. Dans deux ans, j’irai voir IAM à Bercy avec ma sœur.

    Elle et moi, on s’est mis au rap avec les Marseillais. IAM, Fonky Family, Troisième Œil, Def Bond, Faf Larage. On a tout écouté, on a tout fredonné. Du Shit Squad aux Bad Boys de Marseille en passant par les compils Chroniques de Mars et les bandes originales de Taxi. On connaît tout. Mais le Micro d’Argent…

    Je ne suis jamais rentré dans le débat « IAM ou NTM ? L’École du Micro d’Argent ou Suprême NTM ? ». Il n’y a pas de débat. Si ce n’est pas plié pour vous dès qu’on vous pose la question, c’est que vous n’avez rien compris. Si le rap français était une guerre, « le Micro d’Argent » serait son plus beau monument aux morts, présent dans toutes les villes, le ciment intergénérationnel.

    Moyenne d’âge à Bercy ? 35-40 ans. Je suis pile dedans… Et ouais poto, j’ai encore sous verrou un billet d’avion signé de tous les membres d’IAM à l’époque d’ Ombre Est Lumière , t’as vu. La salle est pleine, « mais pas assez pour ne pas voir arriver le phénomène »…

    Ça commence avec cinq minutes de percutions japonaises, histoire de poser le thème. Puis lever de rideau. Le logo IAM version 1997, géant, trône au-dessus de la scène. La couverture de l’album passe sur trois écrans en simultané alors que le premier morceau arrive doucement… « L’École…l’École…l’École… » Shurik’N débarque sur scène en tenue samouraï et ouvre un bal qui ne connaîtra pas de pause pendant une heure quarante. Tout l’album va y passer, agrémenté de quelques titres phares des projets solo.

    À la fin du concert, AKH, tel un daron : « Y en a qui ont acheté leur billet y a deux ans. Gardez-le bien au chaud, dans dix ans on en parlera encore de ce concert ! » Tu m’étonnes, fils ! Une débauche de moyens visuels, une ambiance par morceau, un réglage son aux petits oignons, un répertoire intemporel, des papys plus mobiles que des culbutos et un public… Ce public… Si on m’avait dit qu’il y avait autant de Parisiens qui connaissaient par cœur les textes d’IAM, « ce niais de Jean-Claude Gaudin Skywalker » aurait pu se présenter à Paris.

    Sur « lLa Saga », les Sunz of Men sont sur scène. Sur « la Garde », Faf Larage est sur scène. Sur « Un cri court dans la nuit », Nuttea est sur scène. C’est une réunion de famille, et les tontons débitent du lyrics à cent à l’heure, mention spéciale à Shurik’N. On passe des flammes de « l’Enfer » à la boule à facettes sur « le Mia », pour finir comme des dingues à coups de sabres laser sur « l’Empire du Côté obscur ».

    « IAM casse la baraque avec des lyrics tonitruant. » On sort de là. On est lessivé. Heureusement c’est vendredi, samedi sans tapin. « Mais je pense pas à demain, parce que… »

    3. La Horde du Contrevent

    C’est l’histoire d’un livre que des iconoclastes insatiables ont cherché à mettre en images. Ils sont nombreux à avoir tenté l’adaptation graphique de la Horde du Contrevent . Animation, jeu vidéo, film,… Aucun n’en est sorti indemne et tous leurs projets sont partis en fumée. Sauf un.

    Mi-octobre est sorti le premier tome de l’adaptation en bande dessinée du chef d’œuvre d’Alain Damasio. Il ne s’agit que du premier volume d’une série qui s’annonce longue à réaliser, mais il a déjà été adoubé par l’auteur, préface à l’appui.

    Il est facile de pitcher la Horde . Dans un monde imaginaire, la ville d’Aberlaas, située en aval d’une bande de terre à la longueur inconnue envoie régulièrement ses meilleurs enfants en expédition, au péril de leurs vies, pour trouver l’origine du vent, en Extrême-Amont. Le livre de Damasio raconte les aventures de la 34 e Horde.

    Il est plus difficile d’offrir une identité graphique à une histoire qui suit une quinzaine de héros à la personnalité, au physique, au langage, à l’accoutrement propres, dans un monde à la description minimaliste dans le roman et dont le personnage principal est par définition absent du regard : le vent. Ajoutez à cela l’écriture holistique qui a fait la marque de Damasio, mêlant science-fiction, fantasy, philosophie, anthropologie, théologie et, ici, cosmologie.

    C’est une véritable prouesse à laquelle est parvenu Éric Henninot. Si dans le livre, la Horde restait malgré les discours personnalisés un bloc assez homogène, chaque personnage prend véritablement vie dans la BD, avec son regard et son allure. Pour preuve, les deux « contreurs » les plus charismatiques : Golgoth est encore plus bourru et effrayant que ce que laissait transparaître le livre ; Caracole est la liberté incarnée, léger, libre et virevoltant, prêt à sortir des cases sur chaque page.

    Le vent est quant à lui omniprésent. Un volume ne suffit pas à le présenter sous ses six premières formes (slamino, stèche, furvent,…) et c’est heureux, mais sa présence protéiforme emplit chaque page. Tantôt ennemi, tantôt indice. Tantôt obstacle, tantôt mystère. Il circule au fil des cases et prend la parole autant que Sov, le scribe de la Horde à qui il revient de raconter la Horde.

    Le sens de l’histoire est préservé, pas copié. Henninot prend des libertés sur le fil des évènements et la Horde connaît déjà dans ce volume ses premiers morts et ses premières recrues. Ses premières épreuves aussi, qui permettent de cerner la personnalité de chacun des contreurs et de saisir l’essence de cette aventure : l’unité de ce groupe soudé dès le plus jeune âge ne tient qu’à un coup de vent.

    Forts des bases narratives, on attend maintenant que les tomes suivants nous mènent à la flaque de Lapsane, à la rencontre de Te Jerkka, au devant des chrones et sous les ornements d’Alticcio pour assister à la fameuse joute verbale. L’entreprise est énorme et les vents du succès sont capricieux. Mais le contreur en chef Damasio veille pour atteindre la page 0.

    4. Griselda Records

    Chers fans du rap jeu, nous sommes sauvés. Vous n’êtes plus condamnés à écouter du trap ou du cloud rap. Un vent nouveau souffle sur le hip hop US. Enfin, il serait plus juste de parler de « brise », tant le phénomène est localisé. Et non, ça ne vient ni de New York ni de Los Angeles. Mais de Buffalo.

    A priori, vous ne connaissez Buffalo que si vous êtes fan de NFL ou amateur de viande rouge sur aire d’autoroute. Pour les frères Worthy, aka Westside Gunn et Conway The Machine, Buffalo c’est la maison mère. Ils y sont nés et y ont fait leurs premières armes, au sens propre comme figuré. Conway a en effet failli y laisser la vie : rescapé d’une fusillade, il s’en sort avec une hémiplégie faciale qui lui paralyse aujourd’hui la moitié du visage, source d’un phrasé reconnaissable entre mille.

    Les deux frangins ont créé leur propre label, Griselda Records, en 2012. Ils en sont les uniques porte-étendards. Depuis cinq ans, ils alimentent la toile de leurs productions downtempo, qui sentent bon le boom bap new-yorkais. La filiation avec Mobb Deep et le Wu-Tang est évidente, on penserait même à un nouveau duo Ghostface-Raekwon. Leur musique, dont ils doivent la couleur grise et lancinante à l’éminent producteur Darlinger, sort le rap des clubs chics pour le ramener dans la street. C’est sombre. Mais ce n’est pas violent. C’est calme et enivrant.

    Il s’agit de ce nouveau sous-genre musical qui insiste plus sur l’ambiance et les vapeurs que sur le trait de génie ponctuel. Pas de coup du sombrero, ni de petit pont. Westside et Conway sont les libéros d’une défense à deux sans ailes. Leur visibilité naissante doit beaucoup à un homme, qui a donné ses lettres de noblesse à ce qu’on pourrait appeler le « verbal rap ». Roc Marciano. L’homme passé maître dans l’art de poser un flow proche du slam sur des instrus répétitives et a priori monotones. Mais ne vous y trompez pas, si Marciano a ouvert la brèche, Griselda Records a vite reconnu la subtilité du style et s’y est jeté tête la première.

    Westside et Conway portent haut les couleurs d’un rap qui raconte, qui pose, sans se soucier d’être écouté. Il n’y a absolument rien dans leurs textes ou dans les samples langoureux choisis par Darlinger pour vous surprendre. On sait dès le premier son quel sera celui qui conclura le morceau. Aucune variation dans le flow et dans la tonalité. Connaître le début, c’est déjà connaître la fin. Et pourtant, l’entre-deux vaut le voyage. Entendre à l’infini la même boucle passer, repasser, c’est avoir le temps d’entendre chacune de ses subtilités, la connaître par cœur, l’intérioriser, puis ne faire qu’un avec elle. L’union parfaite entre le son et l’auditeur.

    De là à dire qu’il y a du mysticisme dans le rap de Griselda, ce serait faire honte aux frères Worthy. Il ne faut pas chercher dans leurs morceaux une aspiration à l’élévation. Au contraire, c’est un rap quotidien, fruit de leurs entrailles, même iconoclaste, sans foi ni lois. Pour preuve, ils ont sorti cette année le cinquième volume de leur série Hitler Wears Hermes . Tu parles d’un titre… Tellement évident, pour ces deux gueules cassées du rap.

    Même rédacteur·ice :

    Blade Runner 2049
    Réalisé par Denis Villeneuve
    Avec Harrison Ford, Robin Wright, Ryan Gosling
    États-Unis, 2017
    164 minutes

    IAM 2017
    Concert à Bercy

    La Horde du Contrevent
    D’après Alain Damasio
    Dessins d’ Éric Henninot
    Delcourt, 2017
    80 pages

    Griselda Records

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