30 birds
Entre miniatures persanes et humour belge

Lanternes colorées, musique électronique envoutante, voyage dans l’art persan à la recherche d’oiseaux, 30 birds est le jeu indépendant belge qui lance la RTBF et ARTE dans la création de jeux vidéo. Cosy tout en étant dynamique et farfelu, ce jeu vidéo est une expérience onirique unique, mais certaines mécaniques restent à améliorer.
C’est par l’association d’une illustratrice, Coline Sauvand, et d’un créateur polyvalent1, Laurent Toulouse, qu’est né 30 birds. À la suite d’un voyage à Istanbul et de son journal, le Carnet d’Istanbul (2014), les deux artistes ont décidé d’aller plus loin en créant un jeu vidéo. Développé en tant que première œuvre par RAMRAM Games (Bruxelles) en collaboration avec Business Goose Studios (Hasselt), le jeu a trouvé ses éditeurs chez ARTE France et la RTBF pour être publié 10 ans après le carnet. Jeu narratif mais aussi de réflexion, 30 birds consiste en une aventure associant enquête et exploration, entrecoupée de mini-jeux de rythme, de mémoire, de déduction ou d’énigmes environnementales, ainsi que d’un jeu de cartes. Le jeu se définit tant par l’originalité de son univers que par la simplicité de son expérience de jeu et l’amusement qui en découle.
On y incarne Zig, une jeune détective à la recherche de la déesse Simurgh enlevée par un savant destructeur en quête de pouvoir. Durant son enquête, elle doit passer de lanterne en lanterne pour retrouver et s’associer à 30 oiseaux qui l’aideront dans un rite final pour sauver la déesse à plumes. Pour cela, Zig fera face à différentes énigmes, se retrouvera dans des situations cocasses et rencontrera différents personnages, comme un informateur et son coyote messager dramatique, des djinns, des animaux qui parlent, des constellations, la mafia… de multiples personnages qui aideront (ou empêcheront) de trouver les oiseaux. Ces derniers, dans leur anthropomorphisme, sont également variés. Par exemple, Zig s’accompagne de Hoop, proclamé·e ambassadeur·ice de Simurgh, qui est contre les étiquettes de genre et également accro aux jeux d’argent. À deux, ils trouveront des pigeons philosophes et vénaux, un oiseau démon, un maître corbeau, un danseur disco latino ou encore un oiseau gourou. En effet, le jeu est truffé de blagues, discrètes ou volontairement lourdes, mais aussi de second degré, de jeux de mots, d’associations entre une culture ancienne et la technologie moderne, de personnages loufoques et de lettres qui se colorent et rebondissent.
Une esthétique multiculturelle
La direction artistique du jeu est sans pareil : une esthétique onirique, spirituelle et enchanteresse autour de lanternes inspirées des miniatures persanes. Pour l’histoire, les deux créateurs du jeu se sont inspirés de la mythologie kurde et perse, et plus précisément de Mon nom est rouge de Orhan Pamuk (1998) et de La conférence des oiseaux de Farid al-Din Attar (1177) qui conte la version persane du Phoenix appelé… Simurgh ! Ils ont ainsi repris le style des miniatures de l’époque pour représenter l’Istanbul d’aujourd’hui.
« Raconter la ville moderne mais à travers des miniatures persanes2. »

Les graphismes sont colorés, peints à la main dans un jeu de transparence et de superpositions de dessins. Le jeu mêle la 3D pour les lanternes comme surface de jeu rotative tandis que les personnages sont en 2D. Cette combinaison originale m’a fait penser à The Legend of Zelda: A Link Between Worlds (2013) où l’on quitte parfois la 3D pour déplacer Link sur le mur, se transformant en peinture.
Tandis que les paysages sont basés sur les miniatures persanes, les personnages sont plus proches des origamis. Ces dessins à l’esthétique de papiers géométriques aideraient, selon Coline Sauvand, à une certaine fluidité. La forme serait plus adaptée aux techniques de l’illustratrice tout en demandant moins de temps et de coût de production. Dans tous les cas, la combinaison des deux styles fonctionne ; c’est cohérent et ça fait écho à la multiculturalité de la bande son.
En effet, en termes de conception sonore, c’est tout aussi original. Une musique électro aux inspirations jamaïcaines (dub, ska, reggae) participe à la particularité de ce monde. Les bruitages, pour les dialogues et les différentes actions, soutiennent le côté onirique avec des sons très ronds, naturels, presque comme des bulles. Cependant, des bruits de conversations au Grand Bazaar et près des quais de gare rappellent que nous restons dans une cité orientale. C’est là toute la magie de 30 birds : un mélange de cultures, de temporalités, d’inspirations.
Une thématique est ainsi ressortie de cette multiculturalité : la communauté et l’inclusivité. On retrouve une astronome en chaise roulante ou des personnages qui déconstruisent le genre comme Hoop, ou encore Zig qui semble presque asexuée étant donné son nom et son design. La cohabitation semble paisible entre les humains aux langues et religions différentes, ainsi qu’avec les djinns et les animaux. On prône l’accueil chaleureux des étrangers à la cité et on combat pour la justice et contre la corruption. Le jeu aborde ainsi plusieurs problématiques contemporaines, jusqu’à l’écologie avec la présence de cannettes dispersées un peu partout sur la carte qu’on peut ramasser.

La direction artistique du jeu m’a rapidement rappelée le court-métrage The Elephant’s Garden de Felix Colgrave3 (2013). Cette œuvre présente la population haute en couleurs d’une planète flottante tirée par des éléphants. Une ambiance psychédélique se crée par les dessins et la musique électro aux tonalités indiennes. Un monde spirituel peuplé de personnages farfelus à l’atmosphère orientale et onirique ? Cela définit tout autant 30 birds.
Enfin, plusieurs bugs ont dû me faire redémarrer le jeu et m’ont fait perdre un peu de progression – heureusement, je suis du type paranoïaque qui sauvegarde constamment. Malheureusement, un bug m’empêche de collecter l’avant-dernier oiseau et ainsi de finir l’histoire… Je reste donc sur ma faim et attends la mise-à-jour prochaine pour enfin pouvoir sauver Simurgh !
J’en retiens une expérience unique dans un monde très attachant, peut-être car j’ai pu y reconnaitre l’humour belge qui manque de représentation dans le monde du jeu vidéo. L’omniprésence de la multiculturalité est rafraichissante et finalement très contemporaine. Le format court du jeu indé et son côté cosy étaient prometteurs, dommage que la mécanique empêche quelque peu la légèreté de la jouabilité. C’était dynamique et amusant ; refaire le jeu sera sans doute tout aussi plaisant.

Un gameplay cosy...mais parfois crispant
Concernant le gameplay, les mécaniques sont simples. Zig marche et parfois fonce (dash) avec ses babouches magiques pour détruire des obstacles. Très intuitif, le jeu peut participer ainsi au genre cosy très tendance en ce moment pour s’immerger dans un autre monde sans se prendre la tête. De plus, l’évolution du joueur est dans un entre-deux. D’une part, la progression est assez linéaire avec un suivi logique du récit par l’accès progressif aux différentes quêtes, lanternes et moyens de transports. D’autre part, c’est un monde ouvert apportant une certaine liberté de mouvement et de décision. Il y a également une dimension de choix dans les dialogues. Cela n’exerce en revanche aucune influence sur la suite du jeu, mais ajoute de l’humour et participe à nouveau à une illusion de liberté. Cependant, celle-ci a ses limites. Le suivi des quêtes est un peu flou. On se perd parfois dans la carte sans savoir quoi faire ni où aller, ce qui peut créer quelques longueurs. D’autant plus que les directives ne sont parfois pas claires, notamment durant les mini-jeux où les instructions sont incomplètes, ce qui peut faire perdre du temps et créer de l’irritation.