critique &
création culturelle

A Rock, a Yellow Balloon and a Hard Place de Elke Pannier

« It is hard, and it is cold, and it is grey, and it hurts a little bit. »

Dé/nicher #7

Un café déjà bu, un sac à dos noir, un sourire stressé : je parviens à attraper Elke Pannier entre un train et une réunion, entre Gand et Bruxelles, entre onze heures et midi, entre le marteau et l’enclume, « between a rock and a hard place ».

Photographe et éditrice pour le quotidien belge néerlandophone De Standaard, Elke Pannier est aussi étudiante en master au KASK, l’Académie royale des beaux- arts de Gand. Au cœur de sa vie trépidante, la photographie est son « safe space »1, sa niche. Ses mains accompagnent chacun des mots qu’elle prononce, comme pour mieux les accueillir et les pousser jusqu’à mes oreilles : « When you are getting older or when it’s becoming winter, you want to stay at home. You don’t really feel like going out anymore and you’re making your house very cosy. »2 Comme un phare au milieu de la nuit, cette pratique lui offre une stabilité et un réconfort lorsqu’elle se sent perdue. Elle habite la photographie et la photographie l’habite. L’artiste retrouve dans le médium photographique cet espace douillet et intime. C’est là que réside son calme intérieur.

Dans son projet A Rock, a Yellow Balloon and a Hard Place, Elke Pannier dresse un portrait à la fois personnel, sociologique et universel d’une ville provinciale flamande. Elle y a grandi, l’a détestée, l’a quittée puis l’a vue évoluer, l’a aimée et l’a capturée, elle, ses habitant·es et ses objets. Dans son travail de photographe, Elke Pannier a pour habitude de choisir une zone géographique et de s’y pencher pour une longue période. Qualifiant son style de documentaire, elle développe une pratique de reportage presque anthropologique. C’est le cas pour ce projet, débuté en 2021 sous l’impulsion d’un besoin personnel de dénoncer la mentalité étriquée des petites villes. Comment être jeune et oser prendre des risques dans un tel espace ?

Sortir de sa niche confortable, c’est se confronter à l’avis des autres :

« “Dénicher” reminds me when spring is coming and [...] you leave your nest. »(« “Dénicher” me rappelle le moment où le printemps arrive et que l’on quitte son nid. »)

La jeunesse de cette ville a-t-elle le droit à l’échec ? A-t-elle le droit de suivre ses ambitions et de sortir de son nid quand elle le décide ? Elke Pannier va à la rencontre de ces acteur·ices de l’évolution de la ville et élargit son champ de prises de vue pour mettre son histoire personnelle en arrière-plan.

La ville en question reste toujours inconnue. Peut- être est-ce un moyen d’opérer cette mise en retrait ? Bien que la photographe n’évoque pas la question, l’hypothèse d’une universalisation du sujet semble probable. Ces villes de province, que cela soit celle-là ou une autre, des millions de jeunes les habitent et les quittent de la même façon.

L’artiste est déterminée à poursuivre le projet sous ce nouvel angle. Elle veut conserver une justesse et une sincérité envers celleux qui sont resté·es. Mettant de côté sa propre expérience, elle cherche à renouveler l’image figée d’une ville stricte que les anciennes générations aspirent à conserver. La mondialisation s’empare peu à peu des lieux, effaçant progressivement leur authenticité. La photographe désire témoigner de cette mutation inédite et nouvelle.

Plus elle photographiera, plus cela sera bénéfique à une histoire plus grande. Avec deux ans de recul, son regard sur la ville s’est aujourd’hui adouci. Elle se retient même de m’en donner une vision trop négative. Sa thérapie photographique est terminée : elle a quitté son passé et se sent plus légère.

Sur chacune des photographies couleur prises semble se poser un voile. Ce voile physique et mental fait la transition entre l’intérieur et l’extérieur, la photographe et ses sujets, les photographies et leurs observateur·ices, et les images entre elles. Pour Elke Pannier, ces interactions sont cruciales : « You make a book or you put pictures on the wall or your project online, even on an Instagram page. All the images, separately, connect, go in interaction with each other and because of that, they create this new story. »3

Dénicher, c’est faire sortir du nid. En photographie, les moments sont sortis de leur nid par l’appareil photographique. Les images sont ensuite sorties de leurs nids, de leur contexte, pour amener à de nouvelles interprétations.

« This dynamic, this understanding of interactions, can create this niching / deniching phenomenon. » (« Cette dynamique, cette compréhension des interactions, peut créer ce phénomène de nicher / dénicher. » )

La texture de ces interactions, mouvements et évolutions sont à l’origine du titre du projet. Elke Pannier m’explique d’abord la signification de l’expression anglaise « caught between a rock and a hard place » :

« It means that you are stuck in a position and you have two options but they are both not really nice. »(« Cela signifie que l’on est coincé dans une position avec deux options possibles, mais aucune n’est vraiment bien. »)

C’est le sentiment qu’elle avait étant jeune, en vivant dans cette ville. La froideur et la dureté qu’évoque la pierre sont le reflet de son histoire personnelle, enfouie dans les images. Mais pour ajouter ce point de vue positif auquel la photographe tient beaucoup, le ballon jaune est venu s’ajouter. Symboles de la ville au centre du projet, les montgolfières, air balloons en anglais, représentent également la douceur et l’espoir. Le jaune complète la métaphore en apportant de la couleur et de la gaieté. Le ballon est rempli d’air, d’espérances pour un nouveau souffle. Mais le ballon est fragile, gonflé d’un air que l’on ne connaît pas et prêt à exploser.

Habiter dans une ville et la voir tous les jours, c’est oublier les petites choses qui en font la beauté, cette vulnérabilité particulière. Elke Pannier s’attache à mettre en valeur ces détails du quotidien, comme pour prouver aux habitant·es que leur ville vaut la peine d’être regardée :

« I still wanted to show it as something beautiful. »(« Je voulais quand même la montrer comme quelque chose de beau. »)

Déroulant son compte Instagram, l’artiste s’arrête sur l’image d’un rideau photographié dans le centre commercial de la ville. «You feel this imperfection.»4 : ces objets qui paraissent insignifiants sont autant de symboles de la fragilité de ces provinces et de ses habitant·es.

Elke Pannier conserve une relation ambiguë avec sa ville natale. Comment peut-on tant aimer et à la fois détester le lieu qui nous a construit ? Le nid qui nous a vu grandir est aussi celui qui nous a poussé dehors, quoi qu’il en coûte. Que cela soit au printemps, en automne, en été ou en hiver.

 

Aperçu de la série ici !

A Rock, a Yellow Balloon and a Hard Place

De Elke Pannier
2021

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