critique &
création culturelle

À vous je dois mon ciel plus bleu d’Aurélien Dony

Des mots bleus pour un ciel moins gris

Avec À vous je dois mon ciel plus bleu, Aurélien Dony colore de ses mots rieurs, sensibles et engagés la 42e édition du festival « Voix vives de méditerranée en méditerranée ».

À vous je dois mon ciel plus bleu n’est pas un simple recueil de mots. C’est une carte postale de Sète, où s’amuse la plume sensible d’Aurélien Dony, pensée pour l’oralité, sur des sujets qui ne manquent pas toujours de gravité. Écrits (intégralement ou presque1) lors de la 42e édition du festival « Voix vives de méditerranée en méditerranée  », les quinze poèmes ne craignent ni la singularité, ni la force de l’émotivité, et se dévorent avec allégresse – où que vous soyez.

Originaire de Dinant, le poète confirme dans ce nouvel ouvrage qu’il n’est pas nécessaire d’être méditerranéen pour apporter du soleil à un festival méridional. Invité pour représenter la Belgique francophone, il hisse habilement le drapeau belge entre les lignes. Voyez par exemple le poème VII (notre favori) :

« […] Je pense souvent à Romain Gary

Dans son roman Les Cerfs-volants il fait parler l’oncle du héros

L’oncle il construit des cerfs-volants

Et il dit parlant de la vie comme de ses cerfs-volants

Il dit comme ça

Il dit à son neveu

« Il faut chercher son bleu »

Ça m’a marqué ça

Chercher son bleu

Sur les bords de la Meuse

Sur les bords de l’Escaut

En Wallonie Hainaut

À Liège ou à Namur […]

Chercher son bleu

Peut prendre une vie »

Mais le titre et cet extrait sont trompeurs. Dony ne parle pas que de la pluie et du beau temps (et on l’en remercie). Dans le poème IX, il ose poser un pied ferme sur le terrain de l’engagement politique, brandit le nom de la Palestine, s’insurge en lettres capitales (« MAIS BORDEL ») et appelle à la solidarité :

« […] Mais ce drapeau

Poètes poétesses

Je vous le demande

Hissons-le comme le nôtre

À chaque poème lu à chaque poème écrit

Ma politique : leur drapeau sur ma voix ».

Plus loin (poème X), en partant d’un sentiment aussi banal qu’universel – la fatigue, il dit son empathie face aux conditions de vie des « oubliés » de la société, crie son indignation :

« […] Je dis les profs mais les infirmiers les infirmières bordel

Vous le savez comme moi comme on les presse

On avait dit un jour le monde d’après aura ses héroïnes et ses héros

Tout le monde se fout de notre gueule […] »

Plus discrètement, il fait sienne l’écriture inclusive à de multiples reprises – un choix qui signe une nouvelle fois l’ambition non camouflée de faire de la poésie un véhicule à trajectoire politique.

Le recueil est aussi parsemé d’hommages à ses amis et amies qui permettent à la poésie belge d’exister, aux enfants qui croisent sa route et aux petits mots qui se glisseront dans ses valises, à la dame qui pleure en recevant le poème promis, à tous ces brefs instants qui teintent eux aussi la vie de poésie, finalement.

L’amour se fraie – sans surprise – une place de choix dans son recueil, lorsqu’il évoque dans l’avant dernier poème XIV, le profond chamboulement de la rencontre amoureuse, qui impacte d’abord le corps avant le cœur :

« […] Elle je la vois c’est électrique je la vois elle est là

Je ne la connais pas mais elle est là et c’est dans le corps

que ça se passe

On pourrait croire d’abord que c’est le cœur mais c’est

le corps

J’ai appris ça maintenant que tomber amoureux ce n’est

Pas une affaire de cœur c’est une affaire de corps […] »

Le langage est cru, sans détours. L’écriture est parfois haletante, et laisse entrevoir un échantillon des pensées qui se bousculent à l’intérieur du poète. C’est ce fil ininterrompu (ou presque) de mots pressés qui font la singularité de ce petit assemblage de poèmes de Sète. À la fois politique et sensuelle, sa poésie doit cette musicalité à la rythmique des répétitions, aux mots choisis qui se prêtent bien à l’oralité, à l’universalité des thèmes abordés, à l’humour (belge ?) omniprésent. Dony parvient dans un subtile équilibre entre frontalité et délicatesse, à emmener le lecteur dans des zones imagées qui restent dans un registre résolument poétique :

« […] Je vais vous faire confiance

Me dire

Que le poème

Une fois écrit

N’attend qu’oreille

Que cœur

Que peau

Pour s’écrire à nouveau »

Ce qu’on a préféré dans ces poèmes, c’est l’authenticité, la simplicité apparente des thèmes abordés, une poésie pour toutes et tous, qui ne cherche pas à intimider. Si Dony dédie chaque poème (ou presque) à une rencontre, on croit que ses mots restent intégralement destinés à celles et ceux qui oseront ouvrir ses livres :

« […] Sans me tordre

J’écris pour être à vous tranquille

Ouvert

J’écris pour vous

Et vous retrouve »

Avec À vous je dois mon ciel plus bleu, Dony prouve en quinze poèmes qu’on peut être belge et emmener avec soi un peu de soleil, qu’il est permis de faire coexister la légèreté et la gravité pour une poésie engagée. Ce petit recueil se lit à toute vitesse, bien plus rapide que n’importe quelle connexion de Liège vers Sète et est à tenir à la portée de toutes celles et ceux qui cherchent encore un peu de bleu dans le gris des jours.

Même rédacteur·ice :

À vous je dois mon ciel plus bleu 

Aurélien Dony

Abrapalabra Poche, 2025

80 pages

 

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