Avec Animals , le réalisateur Nabil Ben Yadir ( Les Barons ) secoue le paysage cinématographique belge. Le film, qui nous raconte l’assassinat homophobe de Ihsane Jarfi en 2012, provoque une déflagration rarement vue au cinéma. La particularité de cette bombe ? La violence est ici montrée via une caméra de GSM, renforçant considérablement la sensation de réel. Un choc, assurément.
En choisissant de mettre en scène le tragique assassinat de Ihsane Jarfi, Nabil Ben Yadir s’attaque à un sujet plus que délicat. Dans un monde où l’homosexualité est encore violemment condamnée dans certains endroits du globe, raviver dans les mémoires cette sombre histoire est un exercice périlleux. C’est dans ce type d’exercice que l’on reconnaît les réalisateurs de talent et Ben Yadir en est un.
L’histoire est aussi simple que terrifiante. Sans nouvelles de son compagnon Thomas, Brahim part à sa recherche dans un bar homosexuel qu’ils fréquentent tous deux. En sortant, il aide une jeune femme se faisant insulter par quatre hommes en voiture. Après avoir accepté une virée avec eux, Brahim ignore qu’il vient d’embarquer pour ce qui sera le dernier trajet de sa vie.
Animals est une expérience cinématographique que l’on pourrait diviser en deux temps. La première nous montre Brahim à l’anniversaire de sa mère, attendant la venue de Thomas (qu’il fera passer pour un simple ami auprès de sa famille). Après de multiples appels et messages sans réponses, il quitte la soirée pour tenter de le retrouver. Ce qui est impressionnant dans cette première partie est que le cœur du film n’a pas encore commencé. Pourtant, une tension est déjà installée. En choisissant de ne pas nous montrer à quoi ressemble Thomas et en donnant peu d’informations sur lui, le spectateur est déjà en proie à de multiples questionnements. Pourquoi n’est-il pas venu ? Lui est-il arrivé quelque chose ? Autant d’interrogations qui ne trouveront pas de réponses.
Après cette première partie qui introduit déjà certains enjeux, la plongée dans l’horreur commence. Dès lors que Brahim rentre dans la voiture, le film nous prive d’oxygène. Les dialogues sont crus, vulgaires et remplis de haine. On comprend facilement que quelque chose de grave est sur le point de se produire. Lorsque les quatre individus comprennent que Brahim est gay, l’agressivité monte. Rué de coups et placé dans le coffre tel un morceau de viande, Brahim est amené dans un terrain vague à l’abri des regards. Là, sa condition d’être humain lui sera refusée en étant torturé et humilié.
C’est à ce moment précis que Animals devient visionnaire : exit la caméra classique, place à celle d’un smartphone. En plus d’être audacieux, ce choix artistique est terriblement pertinent tout en étant dérangeant. Les minutes passent et l’épouvante devant la scène ne fait que grandir. À la manière de la séquence de viol d ’ Irreversible , tout est brut, malheureusement humain et donc forcément plus réaliste.
En assistant à ce carnage de violence déraisonné, filmé par un simple smartphone, le spectateur se retrouve inexorablement dans une position voyeuriste. Comme s’il assistait à quelque chose de vrai, sans mise en scène. Et c’est là que le film percute où il faut, en interrogeant notre rapport à l’image : cet insatiable envie de tout filmer, quitte à en oublier une quelconque morale ou humanité. La dernière partie, qui se concentre sur un des quatre agresseurs, nous montre comment une éducation chaotique peut engendrer un être ne laissant que sa part d’animalité s’exprimer.
Animals est un film violent, dérangeant mais nécessaire. Parfois, voir l’insoutenable permet de réveiller certaines consciences et ainsi agir de la sorte. Le 7e art a besoin d’œuvres comme celles-ci, dans un but de mémoire et de conscientisation. Un grand film à la mémoire de ceux qui ne sont plus.