Atlas des plantes de mauvaise vie
Ouvrage impertinent sur les plantes des pavés
Publié aux éditions Hélice Hélas en mars 2023, cet Herbier de l’infra-ordinaire n’est ni un guide des plantes à fleurs, ni un recueil d’illustrations botaniques, ni un ouvrage linguistique sur les noms oubliés des plantes. Au fond, l’ Atlas des plantes de mauvaise vie d’ Olivia Molnàr et Aldwin Raoul, c’est un peu de tout cela en même temps, en ajoutant une bonne dose d’humour, d’anecdotes végétales et de recettes de grand-mère.
Bleuette, Aubéfoin, Gros bleu, Casse-lunette, Herbe au centaure, Fleur des graines… Ces noms vous sont peut-être familiers si vos oreilles ont traîné du côté d’un·e parent·e ou d’un·e ami·e qui se faisait une joie de plonger ses mains dans la botanique. Ou au contraire, vous étiez peut-être comme moi, qui rêvassais au loin quand votre grand-père vous énumérait le nom en latin de toutes les plantes rencontrées sur le chemin. Avec l’ Atlas des plantes de mauvaise vie , promis, point de latin (pas que, du moins), mais une ribambelle de noms vernaculaires, usuels, populaires. Voire vulgaires.
Olivia Molnàr et Aldwin Raoul nous régalent des noms vernaculaires de ces plantes les plus communes. Ces plantes à fleurs qui poussent entre les interstices. Celles des villes, où quelques centimètres de terre affleurent à la surface, où les gouttières servent de tuteur et les caniveaux de réserve d’eau. Il s’agit du lierre, du pissenlit ou de l’armoise commune, pour n’en citer que quelques-unes. Ces plantes qu’on ne remarque même plus, mais dont la diversité des noms nous rappellent qu’elles portent en elles une histoire. Des histoires. De nos pratiques agricoles, de notre rapport aux symboles religieux, de notre médecine ou de notre relation avec le vivant dans son ensemble. En combinant leurs talents, Olivia Molnàr aux illustrations et Aldwin Raoul à l’écrit, iels nous offrent un herbier des plus originaux dans le genre de la librairie naturaliste.
[...] ces humbles végétaux luttant parmi les humains, nous sont apparus pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des êtres doués de sensibilité, ingénieux face à l’adversité, astucieux dans leur régime alimentaire, avisés dans leur alliance, et parfois même capables de stratégie maléfique, survivant et s’adaptant à un monde qui n’a pas été façonné pour eux.
Avec leur Atlas , vous n’apprendrez pas que le bleuet des champs ( Centaurea Cyanus ) peut atteindre 60 cm de hauteur ou que ses fines feuilles sont recouvertes d’un duvet. Non, vous apprendrez plutôt qu’il se plait particulièrement dans les champs de céréales (Bleuet des champs), qu’on le retrouve encore dans des hydrolats pour traiter les yeux fatigués (Casse-lunette) et qu’au siècle dernier, il prenait le nom de Gros Bleu dans la bouche des marchands ambulants à Paris pour le distinguer du myosotis, appelé alors Petit bleu. L’exploration d’une espèce se découpe ainsi : sur un double page, la page de gauche détaille certains des noms vernaculaires d’une plante à fleurs, tandis que sur la page de droite vient illustrer les propos. La plante y est dessinée, à la manière d'une planche de botanique classique, mais en incorporant les éléments exposés grâce aux noms vernaculaires. Pour le bleuet, le décor nous rappelle son lien avec le monde agricole, tandis qu’un Centaure se balade dans l’illustration. Mais pour cette anecdote-là, il faudra vous plonger dans L’ Atlas , comme pour vous procurer l’obscure utilisation de la morelle noire… Oups, je crois que j’en ai trop dit.
Ces trente et une plantes explorées dans leur herbier, Olivia et Aldwin les ont découvertes à Bruxelles entre 2017 et 2020, à « l'état sauvage », comme on dit. Pas de petites mains pour pouponner ces végétaux-là, ces Adventices, qui se retrouvent finalement dans toutes les villes du Nord de l’Europe, les friches et les abords des champs. L’écriture d’Aldwin Raoul au fil des pages est poétique et piquante, pleine d’humour et de sagesse (parfois). On retrouve, chez ce breton d’origine, son plaisir pour les mots à travers la revue bruxelloise Papier Machine , dont il est cofondateur. À publication bi-annuelle, la revue gravite autour d’un « mot-étincelle à l’origine de toutes les contributions, toutes inédites » choisi par le comité éditorial.
HERBE À VERRUES, LAIT DE SORCIÈRE Son latex permet de se débarrasser des verrues en l’appliquant sur zone pendant quinze jours. Mais ça, mamie vous l’avait déjà dit. Et on se lave les mains avant de passer à table ! Mais ça aussi mamie vous l’avait déjà dit.
Les illustrations, quant à elles, frôlent le fantastique. Pour coller aux noms vernaculaires explorés, les scarabées se transforment en gardes de la Capselle Bourse-à-Pasteur et les graines de l’Ailante se changent progressivement en écureuil volant. À travers la démarche de l’ Atlas , on reconnait chez Olivia Molnàr, artiste d’origine italienne qui mêle différentes pratiques artistiques, des thématiques qui lui sont chères : « la mémoire intime et collective, l’habiter et la ville. » En déterrant les noms souvent oubliés de ces simples, et quelquefois leurs dénominations en wallon, italien, voire breton, c’est tout un tableau qu’Olivia compose autour de ces mauvaises herbes.
Leur herbier est aussi impertinent que ces plantes qui cherchent à percer le pavé. À la fin de cette lecture, vous ne pourrez plus ignorer le Buddléia de David qui pousse le long des voies de chemins de fer, la Cymbalaire des Murailles qui s’infiltre dans la façade d’un mur en pierres ou la Grande Chélidoine en fleur qui s’échappe d’un jardin trop bien entretenu. Vous ne serez pas un·e experte en botanique, mais vous aurez néanmoins appris que les graines peuvent se disperser par zoochorie, voire par myrméchorie. De quoi modifier ses perceptions sur ce vivant qui déborde entre les pavés, pour notre plus grand bonheur.