critique &
création culturelle

Beurk !

Quand le dégoût devient un cri d’amour

Rassemblés sous l’interjection Beurk !, cinq courts métrages d’animation réalisés par différents cinéastes explorent l’amour sous toutes ses formes : maladresse, premiers émois, diversité, courage et complicité. De l’oiseau sans bec de L’Imbecqué au premier baiser scintillant de Léo dans Beurk !, chaque film mêle humour, poésie et inventivité visuelle. Un programme qui touche aussi bien les enfants que les adultes, prouvant que l’animation 2D sait émouvoir, faire rire, inviter à réfléchir tout en célébrant la tendresse universelle et la joie de la découverte des émotions.

Intitulée Beurk !, cette anthologie rassemble cinq courts métrages qui célèbrent l’amour sous ses multiples facettes, dans un programme de 45 minutes qui séduit autant les enfants que les adultes. Le choix du titre, léger et immédiat, annonce la tonalité humoristique, tout en donnant à l’œuvre une fonction critique subtile : explorer la découverte des sentiments, le courage nécessaire pour aimer et la complexité des relations humaines. Projeté récemment en salles et dans des festivals internationaux, Beurk ! rassemble des créations européennes contemporaines : L’Imbecqué de Hugo Glavier, Dans la nature de Marcel Barelli, Cowboy Kevin d’Anna Lund Konnerup, Le Grand Saut de Martina Doll, Anaïs Dos, Coline Reverbel, Kenzo Talma, Edgard Vernier et Lisa Vlaine, et Beurk ! de Loïc Espuche. Tous partagent une approche poétique et humoristique du sentiment amoureux, mais chacun développe un univers visuel et narratif unique. L’ensemble, destiné aux enfants dès six ans, parvient à conjuguer humour, émotion et subtilité narrative, offrant ainsi aux spectateurs adultes un plaisir supplémentaire : celui de percevoir les nuances et les références implicites, au-delà du rire spontané des enfants. Cette anthologie explore l’enfance, le désir, le regard de l’autre et le consentement avec une légèreté et une sensibilité rares dans le cinéma d’animation contemporain.

Galerie de portraits : cinq variations sur l’amour

L’Imbecqué – La maladresse du cœur

Hugo Glavier propose un récit minimaliste et pourtant universel : l’histoire d’un oiseau privé de bec, surnommé l’Imbecqué, qui peine à trouver sa place parmi les siens. Dans ce court de cinq minutes, le comique naît de la disproportion entre la gravité de la solitude et la simplicité de la situation. L’oiseau apprend que l’amour et l’amitié passent parfois par l’acceptation de sa vulnérabilité et de ses particularités.

Le style graphique épuré accentue la focalisation sur le personnage et ses gestes. Chaque mouvement traduit une émotion précise, illustrant la capacité de l’animation 2D à capturer l’intériorité avec économie de moyens. L’Imbecqué rappelle que l’apprentissage du lien avec l’autre est souvent maladroit, mais infiniment touchant.

Dans la nature – L’amour dans tous ses états

Marcel Barelli transforme la sexualité animale en objet d’enseignement et de comédie. En cinq minutes, il montre que les couples peuvent se former selon toutes les combinaisons possibles : mâle-femelle, femelle-femelle, mâle-mâle. L’humour réside dans la répétition des exemples et dans la tonalité scientifique volontairement décalée, qui rend la pédagogie joyeuse et accessible.

Les couleurs vives et le rythme dynamique renforcent le comique et l’absurde. Cette ouverture de perspective invite à réfléchir sur l’universalité du désir et sur la diversité des formes d’attachement, qu’elles soient humaines ou animales. L’œuvre démontre que l’animation peut transmettre un savoir tout en divertissant, sans jamais être moralisatrice.

Cowboy Kevin – Le western sensible

Anna Lund Konnerup transpose l’intimité des émotions dans l’immensité du Far West. Kevin, cowboy solitaire, traverse de vastes paysages pour rencontrer une mystérieuse femme qui lui a écrit une lettre d’amour. Le comique naît de l’écart entre la solennité du décor et la vulnérabilité du héros.

Le court explore la douceur de l’attente et l’importance de l’amitié : la relation entre Kevin et son cheval souligne que l’amour prend des formes multiples, et que la fidélité et la bienveillance sont des piliers du lien affectif. Le graphisme fluide et les couleurs chaleureuses rendent cette traversée de 7 minutes sensible et visuellement séduisante.

Le Grand Saut – Le vertige du premier amour

Une petite fille tombe sous le charme d’un garçon rencontré à la plage. Ce court de huit minutes capte avec justesse l’angoisse et l’élan nécessaires pour dépasser la peur du rejet. L’animation restitue le vertige intérieur, les hésitations et les élans de courage propres à l’adolescence naissante des sentiments.

Le récit illustre que l’amour est une aventure émotionnelle, nécessitant initiative et audace. Chaque détail du mouvement, chaque plan de l’eau ou du sable participe à la tension dramatique légère, rappelant que l’animation excelle à rendre perceptible l’invisible : les émotions intérieures.

Beurk ! – Le dégoût qui mène à la tendresse

Treize minutes suffisent à Loïc Espuche pour transformer le dégoût en tendresse. Léo voit ses lèvres scintiller de rose à chaque désir de baiser, provoquant l’hilarité et la gêne de ses camarades. Le film explore la naissance des sentiments, la peur du regard des autres et la nécessité du consentement.

Les choix graphiques sont essentiels : la 2D épurée, les couleurs vives et les lèvres scintillantes concentrent l’attention sur le désir et l’émotion. Le son, inventif et subtil, et la musique d’Aliénor Doublet créent une atmosphère à la fois estivale et magique. Les réactions des spectateurs, enfants et adultes, confirment l’efficacité de ce mélange d’humour et de sensibilité.

L’humour comme vecteur d’émotion

Rire et tendresse sont au cœur du programme. Dans L’Imbecqué, le ridicule de l’oiseau devient attendrissant. Avec Dans la nature, l’absurde de la zoologie sert de prétexte pour réfléchir à la diversité affective. Cowboy Kevin joue sur le décalage entre la grandeur du paysage et la fragilité du héros. Le Grand Saut transforme l’appréhension amoureuse en suspense. Et Beurk ! conjugue émerveillement, humour corporel et poésie. L’humour permet ainsi de créer une expérience émotionnelle partagée, dans laquelle enfants et adultes peuvent se reconnaître et s’émouvoir. Le rire agit alors comme un vecteur d’empathie, rapprochant les spectateurs des personnages tout en renforçant le lien qui les unit entre eux.

Une esthétique variée et inventive

Chaque court développe son propre style visuel, mais tous exploitent la 2D pour traduire l’invisible : désir, émotion, curiosité. Beurk ! symbolise le désir par des lèvres scintillantes, L’Imbecqué concentre l’attention sur le personnage central et ses gestes, Dans la nature exagère formes et couleurs pour rendre le comique et le pédagogique joyeux.

La diversité graphique est un atout narratif : elle permet de traduire les émotions avec clarté, de capter le regard des jeunes spectateurs et d’offrir aux adultes une sophistication visuelle et poétique. Les animateurs jouent sur la stylisation pour amplifier les sentiments sans surcharge décorative, créant un langage universel et intuitif.

La subversion joyeuse du « beurk »

Le programme célèbre la singularité et le décalage. Le « beurk » initial se transforme en émerveillement et tendresse. L’étrange devient un vecteur de vérité universelle : l’amour se manifeste dans des situations inattendues, bizarres ou maladroites. Les enfants rient de l’absurde, les adultes savourent la finesse narrative. Cette subversion met en lumière l’importance de la liberté et du consentement, mais aussi la capacité du cinéma d’animation à jouer avec les codes pour proposer une expérience émotionnelle profonde, ludique et inclusive.

Un programme universel et intemporel

Beurk ! et ses compagnons de programme forment une anthologie cohérente et inventive. Chaque film explore le sentiment amoureux sous un angle particulier : la vulnérabilité, la diversité, l’attente, la maladresse et la découverte. L’ensemble montre que l’animation 2D peut capturer l’invisible et offrir un plaisir esthétique, intellectuel et émotionnel à tous les âges.

En transformant le dégoût en rire et le rire en tendresse, le programme invite à regarder l’amour avec curiosité, humour et attention. Il rappelle que l’amour ne se réduit pas à une recette unique : il se vit, se découvre, s’invente. Cette anthologie d’animation devient ainsi un exemple parfait de cinéma où le rire et l’émotion se répondent, et où chaque spectateur, enfant ou adulte, peut se reconnaître dans les émois universels des personnages.

Beurk !

de Loïc Espuche, Hugo Glavier, Marcel Barelli, Anna Lund Konnerup, Martina Doll, Anaïs Dos, Coline Reverbel, Kenzo Talma, Edgard Vernier et Lisa Vlaine
avec Noé Chabbat, Katell Varvat, Enzo Desmedt, Camille Bouisson, Hugo Chauvel...
France, 2024
45 minutes

Voir aussi...