critique &
création culturelle

Blockbuster du collectif Mensuel

Le cinéma détourné en révolte

Photo : Goldo - Dominique Houcmant

Le collectif Mensuel propose dans sa dernière création Blockbuster un spectacle à mi-chemin entre le cinéma et le théâtre à travers un mashup de films où musique, doublage et bruitages sont produits en direct. Une fresque drôle et éminemment politique où les codes du cinéma à gros budget sont allègrement détournés.

Accompagné·es des applaudissements du public, les cinq comédien·nes du collectif Mensuel entrent sur une scène chargée d’instruments de musique, de micros, d’objets divers baignés par une lumière tamisée et sous un écran géant encore éteint. Il n’est pas encore temps de commencer la pièce : d’abord, le public est mis à contribution pour quelques prises sonores qui seront réutilisées plus tard. Cela étant fait, le spectacle est sur le point de débuter : les comédien·ne·s prennent place et l’écran affiche le lion de Metro Goldwyn Mayer. L’histoire est « inspirée d’une histoire vraie… qui aura peut-être lieu », nous prévient-on.

 Sur l’écran défile alors, durant les quatre-vingt minutes que dure le spectacle, un mashup de différents films recomposés pour former une histoire inédite. Corinne Lagneau, journaliste d’investigation incarnée par Julia Roberts, prépare un article sur l’évasion fiscale des grosses entreprises. Mais alors que la journaliste se voit censurée et évincée, elle se retrouve au centre d’un mouvement de révolte populaire qui se met en branle en réponse à des mesures d’austérité…

Durant ce blockbuster inédit, les comédien·nes produisent elleux-mêmes et en direct tous les doublages, la musique et les bruitages avec un côté « fait main » qui fait le charme de la pièce, changeant de positions à une vitesse décontenançante pour assurer tous les effets sonores à la fois. Un caractère presque « bricolé » qui ajoute à l’aspect comique de l’histoire mais qui n’empêche pas sa grandiloquence – après tout, on est bien dans un blockbuster, et le récit ne prive pas les spectateur·trices de leur lot d’explosions et de moments haletants.

Et comme nous sommes bien dans un blockbuster, on ne boude pas les personnages manichéens et les intrigues où les problématiques politiques se résolvent dans des grands discours enflammés et des insurrections spontanées. On s’amusera des moments où les codes du film d’action à gros budget sont pleinement assumés, et de ceux où ils sont détournés : quand des références bien belges sont mentionnées, rendant les enjeux trop « proches » pour être l’objet de la gigantesque production américaine qui est imitée. Entre la proximité avec le public, la plus évidente lors des premières minutes du spectacle lorsque le public avait été mis à contribution pour l’enregistrement de bandes sonores, et la distance quand l’histoire prend de la façon la plus manifeste la forme d’un blockbuster, un contraste est créé pour apparaître d’autant plus au moment où ces fameuses bandes sonores sont employées dans la narration, détournées, les spectateur·trices entendant alors leur propre voix manipulée et utilisée dans une intrigue qui les dépassent.

Photo : Goldo - Dominique Houcmant

Ce qui se joue dans cette pièce, c’est la violence de classe, la toute-puissance des grandes entreprises contre les plus pauvres dans un contraste d’autant plus frappant qu’il est tiré d’images glanées dans différents films. De la représentation de ces classes, on ne retient que leur image stéréotypée, ce qui ajoute au côté comique, mais permet aussi de donner une dimension universelle à ce qui est dépeint. La précarité ressemblera toujours à la précarité, l’austérité, à l’austérité, et c’est aussi aux spectateur·trices de donner à ce qu’iels voient sa profondeur et son ancrage dans le réel.

Ce spectacle plaira probablement aux cinéphiles qui s'amuseront à reconnaître les films utilisés et s'amuseront de la façon dont ils ont été détournés de leur propos de leur intention d'origine. Pour ma part, j'ai apprécié l'humour de Blockbuster qui arrive à n'être ni creux ni moralisateur, avec quelques blagues un peu lourdes mais beaucoup de très réussies. J'ai particulièrement ri en voyant la coiffure de Julia Roberts changer parfois à l'intérieur d'une même scène ou encore lors des références très « belgo-belges » qui rythment la pièce et soulignent son côté décalé. La force de Blockbuster, c’est de réussir à tenir son public en haleine jusqu’à la fin, sans s'essouffler, et en réussissant à nous surprendre même dans ses dernières minutes. 

La promesse du collectif Mensuel, c’est un théâtre de sens ; iels se disent « intimement convaincus que le théâtre reste l’un moyen le plus efficaces, et les plus ludiques pour se saisir de thématiques complexes et les mettre à la portée d’un grand nombre de personnes1 ». C’est réussi pour ce Blockbuster, qui prouve qu’on peut faire d’enjeux politiques et sociétaux une pièce éminemment ludique, pas moralisatrice, intelligente et originale.

Même rédacteur·ice :

Blockbuster

Écriture Nicolas Ancion / Collectif Mensuel

Conception et mise en scène Collectif Mensuel

Vidéo et montage Juliette Achard

Scénographie Claudine Maus Création

Avec Sandrine Bergot, Quentin Halloy, Baptiste Isaia, Philippe Lecrenier, Renaud Riga

Production Cie Pi 3,14

Coproduction Théâtre de Liège, Théâtre National / Bruxelles

 

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