Cabaret poème #4 What Future edition
Intimes poésies politiques et réparatrices
Le 18 septembre dernier, le Cabaret poème a irradié ses convives d’audace et de tendresse au studio Varia. Aux commandes de cet espace de guérison subversif ? L’iconique maîtresse de cérémonie Dame Lylybeth Merle ! En mêlant le slam, le dragfreak, la « culture ball » et la performance cathartique, les quatres performeureuses honorent les marges et les intersections artistiques comme nulle part ailleurs.
Derrière un rideau de fils multicolore, Lylybeth Merle interprète la voix off de sa propre arrivée sur scène, avant de prodiguer au public un accueil chaleureux une fois sous les feux des projecteurs. La singularité de ce cabaret poétique se précise : ce soir, chaque performance est unique ! En guise de boussole prophétique pour les trois prochaines heures passées ensemble, un thème presque trop ambitieux : « What Future ». Comme l’explique la maîtresse de cérémonie sous couvert d’autodérision, ce fil rouge ne se targue pas d’offrir des réponses, mais plutôt de poser des questions.
La mort dans l’âme
Pour ouvrir le bal, Lylybeth convoque Joёlle Sambi ー slameuse confirmée et connue pour son recueil de poésie Caillasses publié en 2021 aux éditions L’arbre de Diane. Munie de son micro et de sa poésie frontale et concrète, l’autrice s’empare du seul scénario futuriste assuré : notre mort certaine. En relatant les coulisses intimes de la disparition de sa mère, Joёlle Sambi réalise un femmage émouvant, tout en renvoyant la mort et le deuil à leurs enjeux politiques.
Comme une piqûre de rappel universelle, elle émeut le public en interprétant une conversation téléphonique mère-fille banale, tantôt en lingala, tantôt en français et nous rappelle ainsi que le deuil se joue dans la mémoire des détails anodins. Et pour démystifier la mort, des pièces à convictions projetées sur scène contrastent avec le flot de mots semblable à un courant de larmes trop longtemps enfoui. Parallèlement au manque, la mort s’incarne concrètement sur scène par la projection de factures exorbitantes d’un hôpital congolais, des photos de l’enterrement laissant entrevoir le poids de sa logistique ou encore le souvenir du maquillage raté de sa mère défunte. Mais aussi et surtout, en trame de fond, un témoignage sur l’impossibilité de pleurer pour pouvoir accueillir le chagrin de son entourage.
Du Dragfreak au Ballroom
Comme un rappel à la vie, Rose Gigot prend le relais avec son show de dragfreak et se présente sous la forme d’un monstre canin à la croisée des chemins entre le punk et la rose bonbon mania. Cette créature attachante et décomplexée parvient à nous livrer un univers à part entière dès ses premières secondes sur scène. Dans ce monde singulier, le rose gigote sur une célèbre publicité « Frolic » (probablement le nouveau tube de la rentrée !), les croquettes scintillent et les sacs à crottes roses deviennent de véritables accessoires de mode.
Plus corporelle, la performance hypnotisante de la plasticienne et chorégraphe Michelle Tshibola tire son inspiration de la « culture ball1 » afin de mettre à l’honneur les corps queer sur scène. Avec des accessoires sobres comme des chaînes, un verre d’eau ou encore des couvercles de poubelles, les mouvements de Michelle transpirent la puissance, la liberté et la sensualité. Pourtant, la performeuse n’hésite pas à extraire les spectateurices de leur transe poétique soit en claquant ses talons au sol sans suivre le rythme du titre phare d’Eurythmics, soit en chantant a capella malgré quelques erreurs de justesse… Après tout, Sweet dreams are made of this?
La douche dorée
Pour introduire l’artiste, performeuse et militante Marianne Chargois, deux trigger warning sont annoncés : la présence de stroboscopes et l’évocation de violences sexuelles. Sous un prisme politique et poétique, Marianne passe au crible le travail du sexe aussi bien sur scène, que par la fondation du SNAP! festival − un évènement entièrement dédié aux discours, aux représentations et enjeux liés au travail du sexe se déroulant du 17 au 20 octobre prochain à Bruxelles.
En attendant cette prochaine édition, Marianne Chargois met en mouvements, en mots, en poésie et en images son parcours. Par ses performances, elle parvient à relier ses expériences traumatiques avec son expression artistique, mais aussi à brillamment renverser les stigmates liés au travail du sexe grâce à ses recherches pluridisciplinaires. Difficile de rendre compte de la puissance de ses performances car elles agissent, elles aussi, comme des stroboscopes. L’expérience dense ne laisse place qu’à des souvenirs parcellaires, pareils à des photos prises avec un flash trop intense pour restituer l’image dans son intégralité.
La première partie énumère une liste de violences intimes, tandis que l’artiste est couchée sur le sol et donne l’impression d’être enfermée dans une boîte, mais plus pour longtemps… En seconde partie, certaines pratiques BDSM sont expliquées avec précision. Non plus en marge, mais au centre de la scène, Marianne revendique l’autodétermination des travailleuses du sexe. C’est chose faite, puisque l’artiste parvient à subvertir l’insulte de pisseuse qu’elle recevait étant enfant, en faisant jaillir un jet d’urine empouvoirant sur scène. Cette golden shower revisitée plonge ensuite le décor dans un brouillard vaporeux, grâce à un cocktail chimique ingénieux : c’est le triomphe du présent sur le passé !
Antichambre des secrets
Au fur et à mesure de la soirée, Dame Lylybeth Merle et ses invité⋅es parviennent à créer un lien unique avec leur public : fait de confiance, d’écoute et d’empathie. De cet espace-temps éphémère, jaillissent des performances d’une rare profondeur, presque livrées sur le ton de la confidence.
Bien que les rires et parures épiques soient au rendez-vous, le public ne peut ressortir tout à fait indemne de ces trois heures hors du temps. Le Cabaret poème agit comme un cocktail (sans alcool2) de contradictions réconciliées : du rire aux larmes, du malaise à la délivrance, de la vraie vie à la poésie, de l’intime au politique. Panser les plaies collectivement et admirer nos cicatrices pour envisager d’autres possibles, ne serait-ce pas finalement la maîtresse-phrase de fin pour qualifier cette précieuse expérience poétique ?