Close Enough — 12 Women Photographers of Magnum
Close enough but not even?
Du mois de septembre au 16 décembre, le centre de photographie contemporaine Hangar présente Close Enough — 12 Women Photographers of Magnum. Cette exposition collective implique une réflexion sur une nouvelle tentative de valoriser le travail (individuel) d’un groupe (collectif) de « femmes photographes ».
Par son statut d’être humain qui « pose un regard » sur le monde, le métier de photographe est soumis à un procès inévitable d’individualisation. Depuis sa création en 1947, Magnum incarne le mythe du photographe-iconographe au service d’une réalité. L’objectif de l’agence est celui de rassembler des subjectivités photographiques par un système de production et d’édition qui couvre le droit à l’image, la divulgation, et qui laisse pleine liberté aux thématiques de ses membres.
Ce fonctionnement s’est traduit par une histoire de la photographie documentaire principalement masculine qui, par ses propres « pères fondateurs » (Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, George Rodger et David Seymour) a sculpté l’image mythique du reporter documentariste. Une image qui a très souvent écarté le regard photographique féminin, jusqu’à nos jours. Sauf quelques rares exceptions.
À l’occasion des 75 ans de l’agence, le centre de photographie contemporaine Hangar opère un choix : il nous présente le travail de douze photographes femmes, membres actives de l’agence Magnum entre les années 1980 et 2023. Or ce choix peut interpeller le public à plusieurs niveaux.
La première question qu’on se pose en parcourant l’exposition, c’est de savoir si ces douze photographes représentent l’ensemble des femmes de l’agence Magnum, ou s’il s’agit d’une éventuelle sélection curatoriale. Finalement, on se demande si on est face à « quelques rares exceptions » contemporaines.
L’impression est d’accéder à la production d’un nombre largement inférieur de reportages, vis-à-vis de la production mythologique de Magnum. Mais comme tient à le préciser Delphine Dumont, directrice de Hangar, les femmes photographes de la célèbre agence Magnum ne sont que 12 sur 47 membres actifs. Une donnée statistiquement embarrassante qu’il faudrait au moins interroger au cours de l’expo, une entreprise qui nous semble, dans un premier temps, inachevée.
Le choix d’une exposition groupée sur douze conditions et projets individuels (humanitaires, sociaux et culturels) risque d’estomper le message sous le prétexte d’une production 100% « féminine ». Car le travail effectué par les photographes risque d’être marginalisé au profit d’une classification qui les efface une deuxième fois, si la condition « minoritaire » n’est pas interrogée.
D’un point de vue de « reconditionnement » historique, l’exposition exclusivement féminine conserve ses légitimes raisons d'exister. La révolution institutionnelle opérée par Linda Nochlin en est témoin. Mais si le cadre est collectif et contemporain, tel qu’on peut y assister dans les expos des plus grands artistes et photographes hommes, un retour sur les contextes de création, de production et de divulgation de leurs approches semble nécessaire. Non seulement pour comprendre au mieux leur statut partagé de femmes photographes, mais aussi pour formuler un problème qui perdure : l’invisibilisation du travail des femmes photographes.
Heureusement, même si on passe (encore) à côté d’une importante réflexion, on a la possibilité de connaître et d’explorer le travail de douze grandioses photographes. Parmi elles, une mention particulière doit être prêtée aux travaux de Myriam Boulos, Bieke Depoorter, Alessandra Sanguinetti et Sabiha Çimen.
Dans l’ensemble, on assiste à un carrousel de très belles images, là où le code esthétique et l’éthique documentaire se questionnent réciproquement, à des scénographies (parfois déséquilibrées) car on survole des rythmes, des récits et des projets de longue ou courte durée et des productions différentes.
En conclusion, occuper cet espace est une vraie occasion pour la photographie documentaire féminine. Mais ne pas mentionner la disparité est une occasion ratée. Le choix de présenter une minorité doit toujours être interrogé. Non par un connecteur thématique qui, lui, appartient aux artistes et reste tout à fait légitime dans sa diversité, mais par une recontextualisation curatoriale qui s’expose, et qui nous pose la question.
Autrement, même le titre de l’exposition, semble se référer à certaines opérations de marketing qu’on décrit dans les termes du féminisme washing, ou des dynamiques très connues du marché de l’art, mais peu alignées sur l’éthique photographique et documentaire.
Si Close Enough est le conseil de Robert Capa, l’engagement actuel devrait être de vouloir aller encore plus près.