critique &
création culturelle

Dance Me du Ballets Jazz Montréal

Le ballet en hommage à Leonard Cohen

Splendide poésie de mouvements, le spectacle Dance Me a célébré l’héritage de Leonard Cohen au Théâtre du Châtelet à Paris. La compagnie Ballets Jazz Montréal livre un ballet d’une richesse créative exceptionnelle avec élégance et virtuosité, et impose le spectacle comme une expérience complète.

La voix unique de Leonard Cohen a résonné dans les murs du Théâtre du Châtelet grâce à la compagnie Ballets Jazz Montréal (BJM) et à son spectacle Dance Me, hommage sensible au musicien. Pièce phare du répertoire de la compagnie, le ballet rassemble quatorze danseur·euses sur seize titres de Leonard Cohen pour célébrer le musicien montréalais, disparu en 2016. Les morceaux sélectionnés permettent de traverser son œuvre, avec des titres composés entre 1967 et 2016, offrant un panorama complet de la carrière de l’artiste. Résultat : une poésie de mouvements éclatante, au service d’un ballet où chaque geste s’accorde harmonieusement à la musique.

Révérence à Leonard Cohen, Dance Me est né de la collaboration de trois chorégraphes : Andonis Foniadakis, Annabelle Lopez Ochoa et Ihsan Rustem. Trois univers différents s’y lient, et pourtant, on retrouve une cohésion parfaite tout au long du spectacle. La rencontre de ces artistes se cristallise dans un mouvement organique, à la fois contrôlé et aérien. Ensemble, les chorégraphes ont monté un ballet d’une immense richesse créative pour une expérience complète et énergisante.

 

Ballets Jazz Montréal

La compagnie canadienne, créée en 1972 et actuellement dirigée par Alexandra Damiani, apporte à la scène internationale des productions d’une technique exceptionnelle. Avec des œuvres de qualité et accessibles, la troupe peut remplir les salles aussi bien avec des balletomanes qu'avec des curieux·euses souhaitant découvrir la danse. Principalement tournée vers la danse contemporaine, la troupe explore différents styles, toujours dans une dynamique de rencontre entre les genres artistiques, et se produit partout dans le monde. Elle a d’ailleurs eu l’opportunité de travailler avec des chorégraphes de renommée internationale tels que la grande Crystal Pite, directrice de la compagnie Kidd Pivot, et Benjamin Millepied, ancien directeur du ballet de l’Opéra de Paris.

Technique et interprétation

Le ballet se déploie avec finesse sur une sélection de chansons emblématiques de Leonard Cohen, telles que « Hallelujah », « So Long Marianne » et « Dance Me to the End of Love ». Avec une réelle connexion entre les corps et la musique, le spectacle est une expérience immersive complète. L’écriture chorégraphique a su capturer l’énergie unique de chaque morceau, donnant lieu à une succession de tableaux qui s’enchaînent de manière fluide tout en restant distincts les uns des autres. Les chorégraphies alternent moments de sensualité et duos plus doux, qui se glissent entre des ensembles vifs. Ces transitions sont habilement orchestrées, créant un rythme dynamique qui maintient l’attention du public. Les prouesses techniques des danseur·euses sont captivantes. Cette virtuosité est sublimée par une harmonie au sein du groupe, qui se reflète parfaitement sur scène. À la fois puissant et délicat, le spectacle rend hommage à l’œuvre de Cohen tout en explorant des thèmes universels d’amour, de perte et de spiritualité.

Cela dit, le ballet manque parfois d’émotion à des moments où l’on s’attend à en trouver. Dans certains duos, par exemple, la connexion entre les interprètes semble limitée, bien qu’iels exécutent la chorégraphie à la perfection. La danse est magnifique, mais l’expression des danseur·euses reste assez uniforme. On pourrait pourtant imaginer une interprétation plus éclatante et subtilement modulée en fonction du caractère des morceaux. Les mouvements, ancrés dans la respiration, s’y prêteraient parfaitement. Ce manque de nuance est frappant dans les duos homme-femme, notamment en ce qui concerne la représentation des corps féminins sur scène. Bien que les portés où l’homme soulève la femme soient courants dans ce type de performance, ici, ils deviennent répétitifs, alors qu’un duo peut se danser de mille et une façons. Sur des morceaux comme « Boogie Street » ou « Dance Me to the End of Love », la sensualité aurait gagné en intensité si le contact entre les interprètes s'était davantage concentré sur les regards ou sur un meilleur équilibre dans le contact physique, plutôt que de se limiter à l’homme qui attrape constamment la femme pour la faire tournoyer. Cela retient l’émotion et crée un déséquilibre entre les danseurs et les danseuses. L’écriture chorégraphique semble avoir été influencée par un regard masculin, encore prégnant dans les créations actuelles, peut-être en résonance avec la musique de Leonard Cohen et sa façon de chanter les relations entre hommes et femmes.

Un spectacle complet

Dance Me s’impose comme une œuvre totale. Projections, danse, chant et mise en scène théâtrale s’imbriquent parfaitement pour créer une atmosphère homogène. Les lumières et projections renforcent cette ambiance, en adéquation avec l’univers de Leonard Cohen, mariant élégance et sobriété. Dans des décors minimalistes où chaque élément est soigneusement choisi, les costumes suivent cette même direction épurée. Blazers noirs, pantalons droits et gilets de costume imitent des tenues formelles, parfois remplacées par des tenues blanches plus amples, selon l’interprétation de chaque chanson. Le spectacle repose sur une bichromie intéressante, principalement du noir et du blanc, ce qui rend l’apparition d’éléments colorés marquante : des lumières rouges dans les bouches des danseur·euses ou encore des machines à écrire bleues, apportant des touches de surprise.

Le spectacle réserve également des moments où la musique prend vie sur scène avec deux chansons interprétées en live par des membres de la compagnie. Le public est bouleversé par la prestation d’Astrid Dangeard sur « So Long Marianne », puis ému par son duo avec Damond LeMonte Garner sur l’incontournable « Hallelujah ». Ces instants suspendus offrent un souffle singulier au ballet, apportant une nouvelle dynamique à un spectacle déjà envoûtant par sa danse et son univers immersif.

Standing ovation

Dance Me a su conquérir le public parisien, comme en attestent les ovations en fin de représentation et les salles quasi complètes tout au long de sa programmation au Théâtre du Châtelet. Ce spectacle s’impose par la précision technique de la compagnie et par l’hommage vibrant rendu à Leonard Cohen, figure emblématique de la musique. Bien que l'émotion ne soit pas autant au rendez-vous qu’on l'espérait, l'ensemble du ballet reste captivant. Les chorégraphies, à la fois dynamiques et élégantes, témoignent d'une maîtrise indéniable, et chaque tableau est conçu avec une finesse qui célèbre la poésie des œuvres de Cohen. Dance Me s’impose comme un hommage vibrant, à la fois impressionnant sur le plan technique et respectueux de l'héritage de Cohen, faisant de ce ballet un incontournable de la scène actuelle.

Dance Me

de Ballets Jazz Montréal
Musique de Leonard Cohen
Chorégraphie de Andonis Foniadakis, Annabelle Lopez Ochoa, Ihsan Rustem
Avec Gustavo Barros, Yosmell Calderon Mejias, Abby Castora, Macrel Cavaliere, Astrid Dangeard, Kyle Davis, Shanna Irwin Calderon, Miu Kato, Damond LeMonde Garner, Marcel Mejia, Zack Preece, Madeleine Salhany, Silje Vereide, Millie Brinck-Dubuc
Dramaturgie et mise en scène : Éric Jean
Direction musicale : Martin Léon
Conception musicale : Alexis Dumais
Conception scénographie : Pierre-Étienne Locas
Conception lumières : Cédric Delorme-Bouchard, Simon Beetschen
Conception des costumes : Philippe Dubuc

Théâtre du Châtelet (Paris) du 27septembre au 05 octobre 2024

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