Dans la solitude des champs de coton
De l’ambivalence des rapports humains
Le décor lugubre d’une ruelle mal éclairée, deux protagonistes que tout oppose et qui sont pourtant intimement liés et de longues tirades enflammées : voilà les ingrédients de cette nouvelle mise en scène par Jean-Michel Van den Eeyden de la célèbre pièce de Bernard-Marie Koltès, Dans la solitude des champs de coton. Que demander de plus pour captiver le public du Rideau ?
C’est dans une disposition singulière, avec la scène au centre et les gradins de part et d’autre, que le public est invité à assister à la pièce. Dans la solitude des champs de coton commence dans une obscurité prenante qui accompagnera jusqu’au bout la joute verbale que vont se livrer les deux personnages. Se renvoyant monologue après monologue, le dealer et le client n’ont de cesse de tenter de mettre l’autre en défaut afin de lui faire avouer l’objet de son désir. Cette question du désir restera d’ailleurs centrale pendant toute la durée de la représentation.
« Je ne suis pas là pour donner du plaisir, mais pour combler l'abîme du désir, rappeler le désir, obliger le désir à avoir un nom, le traîner jusqu'à terre, lui donner une forme et un poids, avec la cruauté obligatoire qu'il y a à donner une forme et un poids au désir. »
La pièce aborde également d’autres thèmes, tels que le manque ou la solitude et soulève pas mal de questions liées aux rapports humains, sans réellement y apporter de réponse. Le ton des tirades pousse le/la spectateur·trice à la réflexion, les acteurs exposant tour à tour un avis systématiquement contradictoire, donnant ainsi naissance à un véritable débat d’idées sur fond de (potentielle) transaction illicite.
« Les souvenirs sont les armes secrètes que l'homme garde sur lui lorsqu'il est dépouillé, la dernière franchise qui oblige la franchise en retour ; la toute dernière nudité. »
Le contraste est volontairement fort marqué entre d’une part le dealer, calme et posé, dans l’attente d’une requête du client pour agir et d’autre part le client, à moitié vêtu, très nerveux et très exubérant dans ses propos et ses gestes. Tous deux attendent de l’autre quelque chose qui ne vient pas et c’est de cette attente mutuelle que se crée entre eux un lien aussi profond qu’insolite. Cette dualité des personnages est incarnée à merveille par Fabrice Adde (le client) et Marc Zinga (le dealer). Le texte de Koltès, au centre de cette œuvre théâtrale et remarquable par son degré d’exigence, emporte le public dans de grandes envolées verbales tantôt enflammées, tantôt dramatiques, mais toujours avec une opposition forte entre les deux hommes, tant au niveau du discours que du non-verbal.
Un canapé élimé, une barrière Heras recouverte d’un parasol en piteux état, une lampe chinoise, une guirlande lumineuse et un brasero côté dealer, juste un lampadaire public côté client. Le premier attend, tandis que le second prétend ne faire que passer, pressé, tentant de se rhabiller à la hâte et de fuir vainement le contact de son antagoniste. Tout, jusque dans le décor, suggère l’idée d’un affrontement, avec cette scène recouverte de sable et disposée au beau milieu des gradins, comme pour évoquer une arène d’un autre temps. Tout est fait pour que le public ait l’impression que cette joute verbale puisse à tout moment dégénérer en duel à mort dans cette ambiance suffocante.
Dans la solitudes des champs de coton est donc une pièce plutôt courte (1h30), mais intense et qui ne laissera personne indifférent·e. Riche en questionnements, elle se garde bien d’y apporter des réponses, mais tend plutôt à susciter la réflexion sur différents thèmes, à travers deux points de vue diamétralement opposés.