Dans les coulisses du tournage d’ Into the Night
Entretien avec Babetida Sadjo
Depuis son diplôme en art dramatique, l’actrice Babetida Sadjo oscille entre théâtre et cinéma. À l’occasion de la sortie de la série belge Into the Night dans laquelle elle joue Laura, une aide-soignante qui fait partie des passagers pris en otage, Karoo est allé à sa rencontre pour qu’elle nous parle de son expérience hors du commun.
Comment as-tu débarqué dans le projet d’ Into the Night ?
En fait, c’est Entre Chien et Loup 1 qui m’a contacté en la personne de Sébastien Delloye, qui est le producteur. Il m’a contacté parce qu’ils ont parlé de moi avec Jason George, qui est le créateur. Alors j’ai discuté avec lui via Skype comme d’autres de mes collègues et c’est comme cela que j’ai débarqué dans le projet.
Donc tu étais déjà pressentie par Entre Chien et Loup qui te voyait dans le rôle de Laura ?
Non. C’est vraiment Jason George qui décide cela. On ne sait jamais comment on atterrit dans un projet et qui a décidé quoi ou qu’est-ce. Mais je pense vraiment que c’est Jason qui a décidé par rapport à la présentation de Sébastien, c’est vraiment un tandem. C’est la première fois de ma vie que je n’ai pas passé de casting pour un projet.
Comment le tournage s’est-il déroulé pour toi, surtout avec le support de Netflix au sein de cette production belge ?
Cela s’est bien passé. C’est une production de Netflix, le projet leur appartient. On a eu un véritable avion pour le tournage, pour tout ce qui était extérieur. On était également en studio en Bulgarie et on a tourné là-bas pendant deux mois et demi. C’était vraiment un tournage très intensif, mais très plaisant. C’est rare de trouver un rôle que tu peux tenir aussi longtemps et de l’explorer dans les diverses situations qui te sont proposées dans un huis-clos. C’était une expérience vraiment inédite pour moi. En tant que comédienne, cela demande de l’endurance, de la concentration, de la rigueur et de la joie de passer à travers ça.
Vous avez tourné en Bulgarie, mais j’ai vu aussi qu’il y avait des scènes en Macédoine du Nord. Peux-tu m’en dire un peu plus ?
Oui, on a tourné aussi en Macédoine, c’était avec l’avion justement. C’était génial. J’ai refusé de monter dans l’avion parce que j’ai peur de l’avion et je voulais voir les paysages aussi parce que c’est magnifique la Bulgarie et la Macédoine. C’était magnifique de voyager en voiture jusque-là. Et puis on est arrivé et le lendemain, on tournait déjà.
Tu me dis que c’était assez intensif : comment as-tu préparé le personnage de Laura pour tenir le coup durant ces six épisodes ?
J’ai travaillé par séquence, tout le long de la série. Laura est vraiment l’une des personnages qui n’est pas « centrée » sur elle-même. En tant que comédienne, j’ai essayé de savoir où elle en était, qu’est-ce qui s’est passé avant, qu’est-ce qui s’est passé après (parce qu’on ne tourne pas nécessairement dans l’ordre). Pour cet aspect-là, on avait quand même Jason George qui est le showrunner qui faisait le lien d’une scène à l’autre. Donc dès qu’on avait une question, on pouvait lui poser, il savait exactement où se situait le personnage, c’est vraiment son job. Je me suis renseignée sur le métier de mon personnage qui est aide-soignante : ce qu’elles peuvent faire, qu’est-ce qu’elles ne peuvent pas faire… Ce qui induit tout de même un autre type de comportement que de poser un geste qui, dans un temps normal, n’était pas sensé être posé par une aide-soignante. J’ai pu vraiment demander à une aide-soignante ce qu’est son travail, sa journée. C’est aussi une question de responsabilité. Quand il y a une catastrophe en tout cas, on a tendance à croire que la situation est normale et donc on peut se perdre facilement. Donc ça, en tant qu’actrice, ça a été un élément sur lequel j’ai travaillé. Laura s’accroche à la normalité, mais en même temps elle doit avancer avec l’urgence qu’il y a. J’ai beaucoup bossé sur ça. Aussi au niveau physique, j’ai beaucoup bossé. Non pas pour mincir ou pour devenir plus musclée, mais pour avoir un plus long souffle parce que c’est une série qui demandait une résistance physique très très forte. Pour ça le corps doit être prêt, le mental doit être prêt, sinon on gaspille ses propres ressources. Je me suis donc bien amusée à être stressée comme pas possible, je me suis bien amusée à être dans des émotions parce que j’ai préparé mon corps, j’ai préparé mon alimentation, j’ai préparé mon physique.
Est-ce que tu sais si les autres acteurs s’y sont mis aussi physiquement ?
Je ne peux pas me prononcer pour eux. Je sais que je suis une actrice très physique, chaque chose doit passer par mon corps avant mon mental parce que je n’aime pas réfléchir à ce que je suis en train de faire. J’estime que le cinéma ou le théâtre ou même l’écriture est de l’ordre de l’instinctif et, ensuite, on construit avec la réflexion. Donc je faisais du sport, je sortais, je mangeais bien, je voyais les autres acteurs, on allait manger un bout ensemble, on était vraiment une équipe de dingue. C’est une fraternité. D’ailleurs là on se parle presque tous les jours. Je pense que chacun a eu son petit rituel.
C’est quand même drôle pour quelqu’un qui a peur de l’avion de camper un rôle où le seul moyen d’échapper à la catastrophe est par avion...
J’ai peur de l’avion, mais j’ai quand même voyagé. Pendant qu’on était en train de tourner, c’était magique, j’avais la trouille avec les mouvements de l’avion. J’ai donc fait en sorte d’aller à contre-emploi : en fait, mon personnage n’a pas peur de l’avion donc c’était intéressant d’avoir les deux opposés entre mon ressenti et mon interprétation. Du coup, les deux étaient un facteur de stress. Je ne sais pas si cela m’a aidé, mais je trouvais ça assez cocasse : je n’avais pas envie pour une fois de prendre une similarité avec moi par rapport à ce personnage. Elle, elle n’a pas peur, mais moi j’avais la trouille. D’ailleurs, à la fin du tournage, on rentre tous chez nous, je prends l’avion, il y a un peu de turbulence, je n’ai pas peur du tout et là je me dis : « Ça ne va pas, je me crois encore sur les lieux du tournage ! Là, on est dans un vrai avion ». Je n’avais plus peur, ça m’a soignée.
Comme vous êtes tous confinés au sein du même avion dans la série, en quoi cette situation peut-elle faire écho à l’actuel confinement mondial ?
Dans Into the Night , ce sont des inconnus qui sont obligés de se côtoyer, de créer une nouvelle famille, d’être des tribus pour pouvoir sauver la vie des uns et des autres. Donc la différence avec notre confinement, c’est qu’on est confiné dans le meilleur des cas avec notre famille ou seul, malheureusement. Mais pour Into the Night , c’est ça qui est beau : c’est de voir des gens qui ne se connaissent pas, qui n’ont pas du tout le même niveau social, qui se retrouvent face à la vie à sauver. Leurs compétences sont les seules choses qui peuvent les sauver. C’est l’une des choses qui m’a le plus touchée dans ce scénario et de voir aussi que monsieur et madame tout le monde peut, s’ils s’y mettent ensemble, se sortir d’une éventuelle catastrophe.
Justement tu dis que c’est l’ensemble des compétences qui peuvent aider ces gens-là à s’en sortir. J’aimerai dire deux choses là-dessus : tout d’abord, cela m’a surprise que, pour chaque souci rencontré, on trouve quand même une solution malgré le faible échantillon de la population présente dans cet avion. Ensuite, toujours dans mes notes de visionnage, j’ai souligné deux fois le mot « entraide », car la série pouvait être une leçon morale à propos de se donner les moyens et de fonctionner en collectif, il y avait par l'entraide cette volonté d’y parvenir...
Je pense que sur un échantillon de dix personnes, beaucoup de solutions sont possibles. Moi ça ne m’étonne pas qu’il y ait des solutions, même si on n’est pas sûr de tout. On peut être spécialiste dans l’une ou l’autre chose, mais face à une catastrophe, on est obligé d’utiliser d’autres connaissances qui peuvent être utiles. Moi je ne trouve pas ça incroyable que parmi dix personnes, on puisse trouver des solutions aux problèmes. Ce qui fait que tu as été stressée et que j’ai été stressée en le regardant, c’est que tu n’es pas sûre du tout qu’ils vont réussir, parce que ça reste monsieur et madame tout le monde. Quand on prend monsieur et madame tout le monde, chacun a des connaissances, grâce à internet notamment (parce qu’il y a de la technologie aussi dans la série). Cela nous mène vers l’extérieur, vers internet qui est rempli d’informations. Je trouve plutôt que c’était bien amené : cela aurait été surprenant d’avoir un spécialiste qui était sûr et certain de ce qui va se passer, alors qu’ici c’était plutôt des gens qui savent ceci ou cela et qui testent leurs connaissances.
Quelle a été ta réaction en voyant le résultat final ?
C’était une série avec un final cut que j’attendais tellement. Quand je devais le regarder, c’était vraiment le stress total. Je me suis filmée à regarder les trois premiers épisodes. Je n’ose pas encore re-regarder ce que j’ai vu de moi. Mais le stress que j’avais était juste incroyable : j’étais dedans à fond la caisse comme si ce n’était pas moi que je regardais, que ce n’était pas mes collègues, mais vraiment l’histoire. Je me suis dit que c’était fort, parce qu’en général, lors de la première vision, tu es dans les petits détails, tu n’es pas dans l’histoire qui est racontée. Et là, je me suis embarquée dedans et je l’ai regardé d’une traite.
Netflix a une certaine tendance à produire et à diffuser essentiellement des premières saisons sans vraiment donner de suite ce qui peut provoquer une certaine frustration quand on adore la saison 1... Peut-on espérer une suite pour Into the Night ?
Personnellement, je ne le sais pas. Tout ce que j’ai à dire c’est que je suis super heureuse d’avoir cette première saison et de la partager avec les gens. Et si ces gens sont touchés par le travail qu’on a fait et par l’histoire qui est racontée et qu’ils ont envie d’une autre, je les invite à écrire un maximum de lettres à Netflix pour le faire savoir. Parce que je pense que ce n’est que comme ça qu’ils peuvent se dire : « Okay, on peut prendre le risque pour une deuxième ». Moi c’est avant tout la joie de partager et de répondre à tellement de personnes. J’ai mal aux pouces tellement il y a des messages d’amour, de tendresse, de reconnaissance, par rapport à ce travail. C’est juste hallucinant ce qu’il se passe. On est présent dans le top 10 sur Netflix maintenant. Nous les petits Belges, on est dans le top 10 ! Cela fait vraiment plaisir. Je me dis que depuis que la Belgique a fait son entrée au niveau du cinéma et qu’on nous a ouvert la porte vers la France, on vient chercher des comédiens en Belgique, dès qu’ils commencent à monter, ils s’en vont et c’est terrible de voir que la Belgique perd à chaque fois ses talents, parce qu’on ne se sent pas soutenu. En Belgique, ce qui est magnifique c’est que les comédiens de théâtre passent du théâtre au cinéma et inversement. Je trouve que cette réussite d’ Into the Night est une réussite pour tous ces comédiens belges qu’ils soient dans le projet ou pas. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de projet belge qui n’a pas été reconnu dans le monde. Mais on est au septième jour et on est viral sur Netflix, c’est vraiment pas mal.