Découverte des merveilles locales animées
au Festival Anima
Pour cette 42e édition, l'événement consacré au cinéma d’animation met de nouveau en avant les professionnels et les étudiants belges à travers des courts métrages aux identités multiples. Après une dernière édition hybride en salle et sur plateforme streaming on retrouve l'essence du festival Anima, qui pour la première fois voyage dans les cinémas des quatre coins du pays.
Si la compétition ne compte pas moins de 154 courts-métrages, nous nous concentrerons ici sur la sélection belge. J’ai eu la chance d’assister à deux séances de court métrages : « c’est du belge 1 », série réalisée par des professionnels, ainsi que « c’est du belge 3 », réalisée par les étudiants des écoles locales. Ce qui totalise 17 films que je ne pourrai pas tous mettre en lumière, mais je vous fais part de mes meilleures impressions à travers trois créations.
Le premier dont j’ai envie de vous parler est Ce qui bouge est vivant , un film d’animation de Noémie Marsily. Cette illustratrice qui travaille à Bruxelles s’exprime à travers différentes pratiques artistiques, dont la bande dessinée, quand elle n’est pas sur de l’animation. En 2022, elle sort un récit autobiographique de 11 minutes, un travail poétique sur le rapport qu’elle entretient avec son corps, avec les autres ou encore avec le temps et y évoque également sa maternité. Le film est ponctué de réflexions à voix haute (une voix d’enfant qu’on suppose être celle de sa fille accompagne la sienne) ou parfois juste chuchotées. Le trait vibrant du dessin et le choix de couleurs assez douces m'ont beaucoup plu. Parfois l’image est claire et les formes bien définies, mais elle peut être aussi très brouillonne, voire ressembler à des gribouillages d’enfants lorsque ses pensées sont confuses.
J’ai aussi été assez sensible au travail sur les bruitages qui apportent une autre dimension aux images et expriment assez justement certaines sensations comme les sons saturés qui traduisent des pensées négatives et intrusives. On trouve une certaine poésie dans les images lorsqu’elle nous montre des fragments intimes de sa vie et notamment ceux avec son enfant mais également dans son discours. Noémie Marsily fait énormément de métaphores dont une en particulier où elle fait le lien entre son rythme et son parcours de vie et celui des limaces qui jonchent le sol de sa cuisine en formant des chemins luisants. Cette œuvre m’a vraiment donné envie de m'intéresser davantage au travail de Noémie Marsily .
L’autre pépite, c’est Ubi Deus que l’on pourrait traduire par « Où est dieu » d’Eliott Audigé, élève diplômé de La Cambre. Déjà aperçue au festival Court mais trash , je ne pouvais pas oublier de la mentionner.
C’est le récit d’un monde où les habitants subissent des disparitions bien mystérieuses. On comprend que la tradition veut que, dans cet univers, Dieu perpétue la vie en compensant la disparition d’une créature par l’apparition d’une nouvelle. Mais iel ne souhaite plus intervenir car iel est exténué de toutes les tâches qu’on lui demande sans cesse et disparaît à son tour. Son ami, un certain M. Pêcheur, représenté sous les traits d’un dauphin vert très musclé qui se promène sans cesse sans pantalon, part alors à sa recherche à dos d’escargot. Comme vous l’aurez sans doute compris, c'est sur un fond humoristique que cette fable repose.
Le réalisateur propose des visuels très colorés qui m’ont tout de suite fait penser au travail de Pendleton Ward pour sa série Adventure Time ou encore plus récemment l’adaptation animé du podcast Midnight Gospel. Les dialogues sont savoureux et font rire l’assemblée malgré un sujet assez sérieux. En effet, la religion est au cœur du projet et est traitée avec légèreté dans une sorte de réécriture parodique et novatrice de la Bible. La nouveauté réside ici dans ce personnage central, Dieu donc, qui ressent un ennui profond, voire de l’exaspération à cause de son travail et fait un burn-out.
J’ai apprécié le travail sur le passage évoquant la dernière Cène (dernier repas de Jésus avec ses douze apôtres) qui rappelle le célèbre tableau de Léonard de Vinci sur le même sujet. Cette comparaison, qui peut sembler anecdotique, m’a permise de voir que c’était bien une réinterprétation du tableau et que les mouvements des personnages étaient retravaillés de manière similaire mais avec des personnages tous plus loufoques les uns que les autres, et des éléments plus banals comme le poste radio rose bonbon.
En dehors de ce moment précis, il y a beaucoup d’autres détails qui peuvent amuser le spectateur grâce à ce décalage entre la solennité du propos et l’interprétation faite d’éléments triviaux. Eliott Audigé prouve qu’un sujet métaphysique peut être abordé à travers le prisme de l’humour et cette légèreté de ton est très agréable.
Le dernier film que j’aimerais partager avec vous était présenté avant l’ouverture de la compétition estudiantine. Nommé Druk («pression» en français), ce court-métrage flamand de Senne Driesen est muet mais était accompagné d’un musicien avec un clavier numérique et du réalisateur en tant que bruitiste. Le récit nous amène dans un univers assez sombre où les protagonistes sont des travailleurs anonymes dont la productivité semble aliénante. Sur scène, le réalisateur accompagne l’animation avec des objets comme une machine à écrire ou un marteau en faisant des bruits répétitifs.
Ces gestes et l’organisation millimétrée des ouvriers n’est pas sans rappeler le fordisme . Les personnages sont complètement déshumanisés et c’est renforcé par un procédé de collage de papiers où les individus sont des copies conformes les uns des autres.De plus, l’absence de couleurs vives et le rythme effréné des gestes qui semblent sans but renvoient à une forme de critique,celle d’une société surproductive mais peu encline à jouir des plaisirs de la vie. L’expérience était assez intéressante car elle était au-delà de la simple projection ou du ciné-concert. Le bruitage live ajoutait une dimension didactique qui donnait à voir les dessous d’une création sonore pour un film.
Cette compétition permet au public de voir la qualité et les différentes techniques d’animations des réalisateurs belges. Pour ces derniers, il était souvent question d’un retour vers soi, de se questionner sur sa place dans le monde et ceci grâce à différents savoir-faire.