Érotiques ー 69 poétesses de notre temps par Ariane Lefauconnier
Un livre un extrait (26)
Un livre, un extrait. Karoo vous propose un autre regard sur les livres ! Aujourd’hui, avec deux extraits commentés d'Érotiques d’Ariane Le Fauconnier.
Afin de libérer une anthologie aussi poétique qu’empouvoirante, le fil d’Ariane Le Fauconnier situe l’érotisme au fil de ses pages,« dans la séduction qui advient, la possibilité d’un rapprochement, l’hypothèse d’une jouissance ». Côte à côte, 69 plumes contemporaines émanant du monde entier participent à une mouvance matrimoniale profondément féministe.
Si les mœurs sont susceptibles d’avancer ou de rétropédaler, l’érotisme demeure. Intimes et politiques, les chapitres se dénudent avec force et vulnérabilité : Émois, Rencontre, Orgasme, Tabous, Insoumise, Sensualité, Masturbation, Enfantement. Parmi ces secrets de femmes écrits à voix haute, « lorsqu’un homme me touche » de Suzanne Rault-Balet révolte autant qu’il émeut :
« lorsqu’un homme me touche
je suis toute les femmes de sa vie sauf moi
ses gestes me paraissent fabriqués de toute pièces
par ses expériences passées
il parcourt mon corps avec le mode d’emploi d’une autre
rien n’est fait pour moi seule »
« dès lors qu’il me force à me toucher
c’est qu’il n’a pas besoin de moi
je ne suis que l’outil il en choisit l’usage
il délaisse ma façon propre de lui donner du plaisir
et ordonne uniquement l’exécution immédiate de la somme de tous les moyens exutoires qu’il connaît
et qu’il voudrait que je répète
comme on apprend une leçon
ou qu’on récite un poème par coeur »
Dénonciation sincère et lasse, cet extrait justifie à lui seul le rôle de l’érotisme comme rempart contre l’objectification des corps des femmes et le consumérisme de la rencontre charnelle. Parce que l’érotisme contient le dialogue muet entre deux visions con-sensuelles et parce qu’aucune formule magique ne pourrait se targuer d’être à la source d’une typologie du désir en duo.
Tel un plaidoyer pour l’altérité au nom de chaque « Origine du monde », les mots coulent comme des larmes tranchantes pour réhabiliter la part d’humanité intrinsèquement liée à nos rapports intimes hétéronormés. Avant d'atterrir au sein du chapitre « Masturbation » d’Érotiques, il a d’abord vu le jour au creux des pages du recueil Des frelons dans le cœur, trois ans plus tôt. Bien que cet extrait titille notre rapport à l’autre avec une rare franchise, la quête d’une individualité respectée démarre dans le rapport à son propre corps.
« J’envie les hommes que le désir pousse
par un sentiment de vide infini
vers le corps d’une femme
dans l’espoir que de ce désir
pourra naître un enfant,
que par le vide même
l’ombre sera fertilisée.
Les femmes sont sans illusion sur ce point,
étant tout à la fois
la maison, le tunnel,
la coupe et l’échanson,
et connaissant le vide comme intermittence,
sans y trouver un brin de poésie. »
« Que n’ai-je un pénis ! » par la poétesse coréenne Erica Jong, est terriblement lucide. En crucifiant le désir creux des hommes via une revendication paradoxale et spécifique aux femmes, elle parvient à poser un female gaze subversif et poignant sur leurs corps. Les injonctions à la maternité et l’éternelle figure pénétrable héritée d’une vision patriarcale se télescopent en puissances féminines. En déplaçant le curseur de la peur du vide, Erica Jong plante de nouvelles graines d’émancipations corporelles. Tout droit sorti du chapitre « l'enfantement », cet extrait poétique prouve que l’érotisme en tant qu’arme politique touche tous les états des femmes.