Femmes du jazz,
Depuis l’apparition du genre au début des années 1910, le jazz aura à la fois inspiré, perturbé, redéfini les codes musicaux et donné à découvrir la multiplicité des approches musicales que nous pouvons écouter aujourd’hui.
Né au sein des communautés afro-américaines, il a servi (et sert encore) d’instrument de revendication politique en amenant une révolution mais musicale cette fois : celle de se dégager des sentiers battus, de redéfinir nos propres sensations musicales et esthétiques, et de déconstruire nos attentes. Aujourd’hui, il nourrit un nombre incalculable de genres musicaux et en particulier l’électronique. Le jazz est aussi un espace profondément masculin, dont les femmes ont longtemps été exclues. Dans un article précédent , j’évoquais l’utilisation de la voix comme facteur de dévalorisation esthétique, alors qu’elles sont nombreuses à se l’approprier.
Je voulais, à travers cette sélection musicale, explorer les musiques jazz dans toute leur diversité, hors des mesures et des cadres temporels et politiques, et revenir sur des artistes qui m’ont marquées plus particulièrement. Certaines d’entre elles ont mêlé leur racines traditionnelles aux influences jazz et occidentales, tandis que d’autres ont exploré de nouvelles territorialités musicales et sensorielles.
Emahoy Tsegué-Maryam Guèbrou ( 1923-…)
Yewubdar Gebru est Éthiopienne mais suivra une formation musicale en Europe. Féministe convaincue, elle enfreindra de nombreuses interdictions (en grande partie grâce à son statut social supérieur), comme celle de chanter dans une église orthodoxe. Elle deviendra nonne mais également musicienne professionnelle et professeure. Elle sort son premier disque en 1967 et reverse l’ensemble de ses bénéfices à des œuvres caritatives, en particulier dans l’enseignement de la musique auprès des enfants pauvres. Elle ne sera découverte que très tardivement et pratique encore.
Midori Takada ( 1951-…)
Son premier opus, Through The Looking Glass (1984) fera de la percussionniste japonaise l’une des pionnières de la musique minimaliste. Sur Le Renard Bleu , sorti en 2019, elle collabore avec l’artiste égypto-iranienne Lafawndah. Elle sera en concert le 25 mai prochain au Bozar, déjà complet, mais cela n’empêche pas de (re)découvrir sa discographie pour autant, à la frontière entre la musique expérimentale, jazz et (avant tout) contemplative.
Stella Chiweshe ( 1946-…)
Stella Rambisai Chiweshe est une musicienne zimbabwéenne réputée pour son jeu de la mbira, un instrument traditionnel des Shonas, peuple d’Afrique australe qui est présent au Zimbabwe, dans le Sud du Mozambique et en Zambie. Le mbira est un piano à pouces de 22 lames, qui sera interdit par le régime colonial dans les années soixante. Rare femme à se l’approprier, elle sera d’abord exclue des cérémonies traditionnelles mais finira par être acceptée et contribuera également à la découverte de cet instrument de manière internationale puisque son premier single Kasahwa sera disque d’or.
Dorothy Ashby (1932-1986)
Ashby participera, avec Alice Coltrane, à la popularité de la harpe dans le jazz, instrument qui était auparavant plutôt utilisé dans la musique classique. Elle démontrera également sa maîtrise du Koto, instrument traditionnel japonais, faisant d’elle une multi-instrumentiste hors pair. Elle animera une émission de radio à Detroit et laissera 11 albums solo derrière elle mais pas que, puisque de nombreux artistes de hip-hop sampleront son oeuvre, notamment Jurassic 5.
Jayne Cortez (1934 – 2012)
Poétesse afro-américaine, activiste, Jayne Cortez créera également une petite maison d’édition et sera artiste de performance de « spoken word » (slam). Ses textes, résolument politiques, encourageront de nombreux changement sociaux. Bien que peu reconnue aujourd’hui, elle laisse une empreinte indélébile par sa richesse musicale et son franc-parler.