Du 20 avril au 06 mai, Lisa Cogniaux a présenté Fragments d’une aux Riches-Claires. Accompagnée de Stéphanie Goemaere et Camille Dejean, elle questionne l’identité des actrices et leur rôle dans la construction de soi, en tant que femme. Une pièce mêlant déclamation et musique, qui ouvre les yeux sur le sexisme au cinéma, comme sur les planches.
Princesses Disney ou stars des années 50, elles ont façonné, à travers un écran, l’image de la femme de nombreuses enfants, jeunes filles, femmes. Belles, sexys, élégantes, potiches. Des femmes façades, sans nom, sans personnalité propre, presque animales, qui ont inspiré les actrices d’aujourd’hui pendant toute leur enfance. Jamais puissantes, intelligentes, douées. Toujours naïves ou manipulatrices. Elles ont marqué l’histoire et les esprits, de Marilyn Monroe à Brigitte Bardot, magnifiques ou dénudées.
« Je suis ambivalente face à ces représentations : elles m’ont accompagnées dans l’adolescence, dans le début de l’âge adulte, j’ai essayé de leur ressembler. Elles me troublent et m’émeuvent, insérées dans des chefs-d’œuvre. Mais j’y vois aussi un des nombreux facteurs par lesquels les femmes sont, encore et toujours, maintenues dans une situation d’oppression. Si dans les représentations dominantes, qui influencent nos inconscients, les actrices sont l’objet de notre regard, bien plus fascinantes, la plupart du temps, que leur partenaire masculin, elles ne sont que rarement sujet. » 1 Lisa Cogniaux
Lisa Cogniaux , Stéphanie Goemaere, qui joue également pour le grand et le petit écran, et Camille Dejean s’interrogent sur l’impact qu’ont eu ces femmes fatales sur leur carrière. Sur la scène, elles dénoncent le traitement misogyne auquel elles sont confrontées dans l’industrie cinématographique. Centrée sur le physique, cette image suit les femmes-actrices même hors de l’écran. Dans les interviews et les articles, la presse parle de tenue vestimentaire, de poids, de maquillage et n’économise pas d’encre sur les adjectifs qualifiant leur corps.
Durant une heure, les comédiennes se mêlent, deviennent leurs idoles. Elles les interprètent, chantent leurs paroles et dansent leur pas. Nous rencontrons Stéphanie et Camille, les actrices. Et à travers leur talent nous retrouvons Anna Karina, Marilyn Monroe et Brigitte Bardot. Leur ressembler était un rêve de jeunesse ; réaliser qu’elles étaient utilisées comme objets de séduction a brisé l’idéal.
« Même après avoir interprété le texte de Lisa, je ne peux pas dire que je refuserai un rôle parce qu’il est réducteur. J’aimerais le faire mais dans ce milieu précaire, on n’a pas toujours le choix ou le luxe de pouvoir dire non. » 2 Stéphanie Goemaere
Par son texte, Lisa amène les deux actrices à se travestir. À enfiler le rôle de l’oppresseur. Dans des dialogues à peine caricaturés, on peut lire toute la nocivité des échanges entre la femme actrice et l’homme dont le comportement est risible tant il est ridicule. En se mettant dans les chaussures de l’homme, les actrices ont réussi à interpréter ce que chaque femme peut vivre en se retrouvant confronter à la misogynie. Et à le tourner en dérision, faisant ainsi rire de bon cœur les femmes du public.
En mêlant la déclamation, la danse, le synthé, le chant mais aussi les extraits de film, Lisa Cogniaux a rendu la pièce très dynamique et vivante.Un instant, la scène est plongée dans le noir et l’on peut deviner l’ombre des actrices qui changent de rôles, de personnages en changeant de tenues. La seconde suivante, au piano, Lisa Cogniaux joue la musique d’un film bien connu tandis que Stéphanie Goemaere ou Camille Dejean en chantent les paroles. Ensuite, les actrices, magazines en mains, dénoncent les mots des journalistes en déclamant des extraits d’articles dont le sujet n’est pas l’artiste mais bien son corps. Les courtes séquences accentuent cette impression et après une heure, on n’a pas envie que cela s’arrête là. On reste sur sa faim et on en veut plus.
Les personnes très informées sur le féminisme et ayant déjà un regard affûté pourront ressentir une frustration car la pièce ne creuse pas la question profondément. Ce choix est pourtant positif : il permet d’introduire le sujet à un plus grand nombre et d'ouvrir plutôt le débat en bord de scène. Ce moment de discussion après la pièce permet de se poser et de digérer toute cette énergie et ce dynamisme pour pouvoir échanger sur le sujet en toute simplicité. Après des félicitations méritées, les artistes ont pu parler de leur ressenti, de toute la phase de recherche qui leur a permis d’ouvrir les yeux sur leurs propres expériences dans le milieu.
Avec Fragments d’une Lisa Cogniaux réussit à emmener avec elle son public dans une aventure féministe mais accessible à tous. Stéphanie Goemaere et Camille Dejean animent la scène avec passion et ouvrent les yeux des spectateurs sur ces stars qui ont marqué les esprits. La pièce est dynamique et l’utilisation des différents médias équilibrée et toujours surprenante. De loin, BB, Marylin et Anna doivent être fière de ces femmes-actrices qui prennent le contrôle de leur carrière et de leur corps sans s’excuser.