Avec Grande Couronne , Salomé Kiner signe un premier roman qui aborde des thèmes forts : le regard des autres à l’adolescence ainsi que la difficulté de se construire dans une famille dysfonctionnelle et dans une société consumériste poussant à la superficialité.
« OK. OK. Stop. C’est glauque » Telle est la phrase prononcée par Renaud, le petit ami de la protagoniste, lorsque cette dernière lui décrit les drames expliqués par la juge des enfants auprès de qui elle réalise un stage. Cette réplique pourrait résumer notre réaction face à de nombreux passages de ce roman. De la tentative de viol dès les premiers chapitres à la consommation de drogue, en passant par les scènes de beuverie, de prostitution ou de dépression parentale, on n’est en effet pas épargnés et le style cru de Salomé Kiner n’arrange rien.
Tennessy, banlieusarde de 14 ans, rêve obsessionnellement du jour où elle pourra se procurer les produits de marque que sa mère refuse de lui offrir. Lorsque l’occasion se présente de gagner de l’argent de poche, elle n’hésite pas à l’appel de Nike, Viahero ou Tacchini dans les vitrines et se lance corps (et âme) dans son nouveau travail au sein du réseau clandestin Magritte afin de pouvoir enfin acheter ce qui lui fait tant envie. Même si le récit a le mérite de sensibiliser à une problématique grave (la prostitution adolescente), la manière dont elle est traitée peut rendre perplexe : était-il nécessaire de décrire ces scènes avec une obscénité gratuite, frôlant la complaisance, pour ensuite les ravaler au rang de simples erreurs de jeunesse sans grande conséquence psychologique pour la protagoniste ? Peuvent-elles être qualifiées de banales « premières expériences sexuelles » comme nous le vend la quatrième de couverture ? Si le roman possède probablement la vocation de nous choquer et de nous interroger, la façon dont certains éléments sont présentés n’en reste pas moins dérangeante.
La problématique de la folie consumériste des années 1990, quant à elle, est dépeinte avec justesse, tout comme le besoin d’appartenance à un groupe lors de l’adolescence, même si ce thème aurait pu être davantage fouillé. Dans le cas de Tennessy, les deux aspects sont directement liés : elle s’imagine que porter des vêtements de marques lui permettra enfin d’être reconnue par ses congénères. Elle se rendra rapidement compte que ses efforts sont vains : bien qu’elle parade avec ses chaussures flambant neuves, ses camarades ne remarquent que ses chaussettes dépareillées. En mûrissant, elle comprendra que, malgré ce que défendent les publicités, on ne peut acheter ni bonheur, ni amour, ni amitié.
La désillusion est d’ailleurs une sensation omniprésente tout au long de l’œuvre, autant pour la mère, dépressive depuis le départ du père, que pour la fille qui, complètement livrée à elle-même, enchaîne les cigarettes, la drogue et l’alcool, dans une cacophonie de pensées retranscrites parfaitement par l’autrice, tout en étant obligée de s’inquiéter pour toute sa famille depuis que ses parents sont aux abonnés absents. Même Renaud, le prince charmant de l’histoire, agacera vite la protagoniste avant de la quitter pour une autre.
« Lose, lost, lost. (...) C’est à ce moment-là que le docteur m’a expliqué le risque de décompensation et les cures de remise en forme, que ça n’a rien d’humiliant, qu’il existe de bonnes cliniques spécialisées dans le chagrin. Mean, meant, meant . Je me suis demandé si je pouvais balancer le distributeur de post-it sur le squelette anatomique qui dansait sur une pile de Vidal. »
Ce roman initiatique soulève des questions importantes, sans tabou et sans ton moralisateur. La plume est travaillée et l’évolution de l’héroïne reste intéressante. Il n’est cependant pas à placer entre toutes les mains et aurait gagné à être traité différemment, pour éviter le risque de tomber dans deux extrêmes : l’obscénité et la banalisation.