critique &
création culturelle
Grave
Une ode à l’animalité

Et si le passage à l’âge adulte était traité comme un film d’horreur ? Si les changements que subissent nos corps quand ils sortent du cocon familial étaient plus qu’un printemps joyeux rempli d’erreurs et d’hésitations heureuses ? Bonne idée ? Grave !

Grave , premier long métrage de la réalisatrice française Julia Ducournau est sorti récemment dans les salles françaises après une longue année de promotion. En effet, ce film a déjà été projeté – et acclamé – à Cannes en 2016 mais n’est pas sorti dans les salles avant 2017.

Juliette (Garance Marillier), seconde fille d’une famille végétarienne convaincue, entre dans une université vétérinaire où toute sa famille a étudié. Plutôt réservée, première de la classe, Juliette est encore une enfant en passe de devenir adulte. Elle goûte de la viande pour la première fois de sa vie lors d’une épreuve de baptême étudiant et là, tout change : elle prend goût à la viande, au sang et à la chair. Car s’il fallait résumer le film en un mot, ça serait le suivant : charnel.

Grave raconte l’éveil sexuel et humain que Juliette vit par rapport à elle-même, sa famille (d’abord sa sœur puis ses parents) et son groupe social. Quelle place prendre dans un groupe ? Qui est-on ?

Grandir, passer à l’âge adulte, c’est un épreuve pour chacun d’entre nous : nos corps changent et notre chair bouge, se métamorphose. Plus encore, on apprend à regarder les autres autrement, à toucher la chair étrangère, à la sentir, à la goûter ; on expérimente le sexe. La plupart des scènes du film traitent du contact entre les humains, que ce soit dans une soirée bondée ou dans un lit. Juliette est en permanence confrontée à une relation ou à une comparaison avec une autre personne. On l’oblige ainsi constamment à se situer par rapport à un contexte qui lui est imposé par les circonstances.

Des films sur le passage à l’âge adulte, il y en a beaucoup ; pourtant Grave se démarque complètement. D’abord parce que c’est un film d’horreur, et plus précisément de body horror , bien équilibré. Il s’intensifie progressivement, parfois subtilement, parfois très cruellement. Ensuite parce que la question de l’animal et de l’humain ‒ qui sommes-nous dans notre chair ‒ est traitée très humainement. Les plans très explicites et rapprochés, sans pour autant loucher vers l’exposition malsaine et souvent mal maîtrisée du gore , montrent le corps tel qu’il est mais sans non plus glisser dans le détachement médical. Les corps sont animés par des être humains, et ce qu’ils représentent dans la narration est important. Le lieu de l’histoire n’est d’ailleurs pas anodin (une université vétérinaire), la référence à cette question est d’ailleurs expliquée dans une scène où Juliette discute avec ses camarades sur la place de l’humain par rapport à l’animal et défend une position très antispéciste contre tous ses camarades

« Devenir une femme, c’est devenir un monstre », disait très justement Julia Ducournau dans une interview au magazine français Quotidien . Mais pas un monstre que l’on aurait sous son lit, un monstre romantique, celui qui, incompris, reste social : un monstre mi-humain et mi-animal, en fait un adolescent.

Garance Marillier se démarque entièrement par son incroyable performance de transformation, d’une adolescente ingénue en une femme entière et conscience de son potentiel sexuel et social. En quelque sorte, elle (re)trouve son animalité et sa monstruosité. Une scène où Juliette se bat avec sa sœur, Alexia (Ella Rumpf) est très frappante par sa violence et son aspect sauvage. Les deux filles se battent comme le feraient des animaux : avec une perte totale de contrôle et une rage aveugle. C’est un point d’orgue dans le film et une excellente performance pour les deux actrices.

Mais, quand bien même nous le souhaiterions, nous ne vivons pas seul et notre liberté se limite au monde dans lequel nous vivons. Sans dévoiler plus d’éléments sur ce film, disons que Juliette se retrouvera finalement confrontée au reste de la société et plus particulièrement à sa famille.

Grave est un excellent film qui possède une touche rock’n roll dans sa photographie et le choix de sa musique, ce qui ajoute au côté dynamique et brut. Retenons aussi que Garance Marillier se révèle dans une interprétation particulièrement réussie de Juliette lors de climax à couper le souffle.

Même rédacteur·ice :

Grave

Réalisé par Julia Ducournau
Avec Garance Marillier , Ella Rumpf
2017, 99 minutes