Il est rare qu'on retrouve dans la distribution d'une pièce la mention « manipulation des organes ». C'est pourtant le cas dans ce seul en scène surprenant qu'est How to disappear interprété par Emilie Maquest, présenté pour la première fois au Studio Varia dans le cadre de son festival métamorphose, petit festival d'automne.
Cela commence avec de la fumée qui se détache dans l'obscurité, s'avançant vers le public. Une femme dont on n'aperçoit que le corps à partir des épaules s'avance :
Pourquoi voudrait-on disparaître et que cela implique-t-il ? Emilie Maquest, dans son interprétation du texte de Marie Henri, dissèque et explore le thème de sa propre désertion au monde et à elle-même. Fuite ou réflexe vital, la disparition devient une question de réappropriation de soi, de son identité, de son corps.
Paradoxalement, cette disparition lui permet de se remettre au centre de ses préoccupations – et de celles des autres par ailleurs, dont elle imagine qu'ils et elles vont parler d'elle en son absence. C'est l'occasion de plonger au fond de soi-même pour y observer ce qui s'y passe. Tout quitter pour exister plus fort, être authentique pour ne plus être pour les autres et devenir « l’ héroïne de [son] drame moderne ».
La pièce s'enrichit d'un enchaînement de tableaux superbes, appuyés par plusieurs changements de costumes, des sculptures saisissantes d'organes démesurés et un arrière-plan qui évolue en jouant sur le contraste de la lumière sur de la fumée. La comédienne entre sur scène harnachée d'un haut figurant une cage thoracique de laquelle un cœur anatomique rouge vif semble presque s’en déborder, trop volumineux, trop exposé. Au fur et à mesure de l'avancement de la pièce et des divagations du texte, Emilie Maquest se débarassera de cette structure osseuse pour tantôt aller à la rencontre d'organes de plus en plus gigantesques, tantôt incarner directement des parties de ce corps disloqué. Quand on parle d'aller au fond de soi-même, cela est presque entendu littéralement, avec un côté grotesque qui tend parfois vers le comique tout en explorant des questions d'une identité qui est mise en tension avec la matérialité du corps.
Visuellement, la scénographie fait fort en proposant des images marquantes au travers des tableaux saisissants, tout particulièrement par le traitement somptueux de la lumière de Giacomo Gorini. Les scènes se découpent dans un clair-obscur magnifique, et l'usage de la fumée qui sature la pièce permet de compartimenter l'espace de façon aussi inattendue que subtile.
La pièce centrée sur l'interprétation d'Emilie Maquest est complétée par une interprétation musicale live de Boris Gronemberger, qui souligne et accompagne le propos tout en proposant une présence extérieure à l'introversion présentée, présence à l'occasion un peu décalée. Un élément rafraîchissant permettant de désamorcer des silences un peu lourds ou en soulignant avec humour le côté un peu obscur du propos. Ce seule en scène est finalement tout sauf le travail d'une seule personne. Au croisement de différents arts, comédie, danse, arts plastiques, musique, How to disappear propose un projet hybride et tout à fait singulier . Peut-être fera-t-elle preuve d'une certaine opacité pour certain·es spectateurs·trices du fait de son propos qui peine à sortir d'une introspection purement personnelle, mais l'idée de disparaître pour mieux se connaître trouvera une résonance chez beaucoup d'autres.