Il pleut dans la maison
Le monde est devant
C’est aux abords du lac de l’Eau d’Heure que la réalisatrice Paloma Sermon-Daï a choisi de poser le cadre de son premier long-métrage de fiction : Il pleut dans la maison. Mettant en scène le quotidien difficile et parfois anxiogène d’un frère et d’une sœur vivant dans un milieu précaire, le film montre avec justesse une étape cruciale dans la vie de toutes et tous : celle d’arriver à quitter le nid pour voler de ses propres ailes.
Une longue route. Un ciel brûlant. Un frère et une sœur s’insultant parce que les sacs de courses sont trop lourds. Dès les premières minutes de son film, Paloma Sermon-Daï résume parfaitement la relation que nous serons amenés à découvrir, et qui pourrait se définir par cette célèbre phrase : « Je t’aime… Moi non plus. »
Purdey et son frère Makenzy vivent avec leur mère, alcoolique et souvent absente, non loin du lac de l’Eau d’Heure. Face à un quotidien de plus en plus difficile à gérer, et sentant le poids des responsabilités grandir au fur et à mesure, les deux adolescents se préparent doucement à partir pour, enfin, se libérer des contraintes que leur condition familiale leur impose.
Après avoir exploré la vie d’adulte dans son documentaire Petit Samedi et l’enfance dans Makenzy (avec ce même duo), Paloma Sermon-Daï s’est cette fois-ci tournée vers la thématique de l’adolescence. « Je voulais raconter la débrouille et le lien fusionnel d’un frère et d’une sœur face à l’adversité de leur quotidien. Un monde de laissés-pour-compte où les rôles deviennent flous et les enfants se voient obligés de prendre la place des adultes1 », explique-t-elle.
Ce quotidien, c’est le fait de vivre avec une mère alcoolique, et sous le toit d’une maison tombant petit à petit en ruine. C’est notamment montré par Purdey qui ne sait plus dormir dans sa chambre à cause de la pluie qui traverse sa fenêtre, l’obligeant à dormir dans la même chambre que son frère.
Cette maison, justement, s’avère être un élément central du film. Alors qu’elle est un des moteurs de départ de Purdey, qui ne supporte plus de vivre dans cette décrépitude, elle aura l’effet inverse chez son frère. Pour lui, cette maison est un refuge, un endroit où les jugements n’existent pas. Cette dissonance dans la perspective d’avenir des deux adolescents est notamment montrée par deux situations bien distinctes.
Tandis que Purdey est embauchée comme aide-ménagère dans des maisons de vacances proches du lac, et ce pour réussir à (peut-être) financer son propre logement, Makenzy, lui, passe ses journées à s’amuser avec son ami. Entre des petits vols, des parties de jeux vidéo, ou simplement flâner sur la plage, le garçon vit un été tout en insouciance. À l’opposé de sa sœur.
Et voilà l'un des points forts du film : sa façon de nous rendre nostalgiques en nous faisant ressentir deux étés que nous avons tous connus. Makenzy illustre parfaitement nos premiers étés d’adolescents, où rien d’autre ne comptait que s’amuser et ne pas se soucier du monde extérieur. Purdey, elle, incarne cet autre été : celui d’après. L’été qui annonce les premiers signes d’une responsabilisation qu’il faut désormais entreprendre. Là où l'on commence à apprendre que pour financer ses loisirs ou sa vie, il faut gagner son propre argent.
Autre sujet abordé et subtilement mis en scène : la rencontre entre le milieu bourgeois et celui de la pauvreté. Alors qu’il se rend seul à la plage après une dispute avec son ami, Makenzy rencontre deux jeunes Bruxellois, venus pour les vacances. Rapidement, il demande s’ils veulent lui acheter de la drogue. Alors que l’un des deux décide de rentrer chez lui, l’autre accepte. Là, le jeune expliquera qu’il vient notamment faire du jet-ski avec son père. À la suite d’une discussion où le jeune laisse entendre que son père exerce un métier lui permettant d’avoir un cadre de vie assez aisé, Makenzy va, tel un enfant qui craindrait de ne pas être comme les autres, mentir sur son propre père. Il explique que ce dernier est « chef » d’une banque et qu’il doit gérer des « ouvriers ».
En seulement deux phrases, Paloma Sermon-Daï résume parfaitement une situation que beaucoup ont peut-être connue : celle où l’on ment pour ne pas paraître moins bien, moins riche que l’autre. Elle explique d’ailleurs : « Au Lac, j’ai été fascinée par le tourisme et j’ai très vite senti le clivage social qu’il y a dans cette région post-industrielle, toute à côté de celle de mon enfance2. »
Heureusement, pour Makenzy, un soutien sans faille l’accompagne au quotidien : celui de sa sœur. Bien qu’ils ne cessent de se provoquer, on sent véritablement un amour fusionnel entre eux deux. Quand ce n’est pas l’un qui cherche à aider, c’est l’autre : il en est ainsi lorsque Makenzy essaye de réparer la fenêtre de sa sœur, afin qu’elle puisse dormir dans sa chambre.
Tout au long du film, le duo étonne par la sincérité de leur jeu. On a presque l’impression que c'est un documentaire, tant leurs répliques et les émotions paraissent naturelles. Au fur et à mesure que les minutes avancent, notre empathie et notre affection pour ce frère et sa sœur ne cessent de grandir. À souligner également la sobriété et la justesse dans la réalisation de Paloma Sermon-Daï : elle arrive à ne capter que l’essentiel, sans chercher à en faire trop. Cette justesse permet donc de laisser le champ libre au talent des acteurs, sans que notre attention ne soit prise par autre chose.
Si Il pleut dans la maison brille par ses acteurs, son propos et sa réalisation, on peut cependant lui reprocher le manque de contexte par rapport à la situation familiale. En effet, on n’apprend rien sur la mère (Quel est son métier ? Pourquoi boit-elle ?), ni sur le père (Mort ? Parti à la naissance des enfants ?). Sans la réponse à ces interrogations, on n’arrive pas, ou du moins pas assez, à ressentir un passé lourd dans cette famille.
Léger par moments, dramatique à d’autres, mais jamais dans l’excès de l’un ou de l’autre, Il pleut dans la maison est une belle œuvre de fiction. Grâce à une caméra sobre, qui ne cherche à capter que ce qui est crucial, à travers des acteurs brillants, Paloma Sermon-Daï nous offre un beau moment : celui où l’on sort de la salle le sourire aux lèvres.