Sorti aux éditions Seuil début 2022, le premier ouvrage de Laura Tinard , J’ai perdu mon roman , est un véritable film sur papier. Les mots défilent comme des plans passant sur grand écran. Un rythme addictif tant pour le lecteur que pour Pamela, l’héroïne en danger.
Laura Tinard partage sa vie entre Nice et Bruxelles. L’artiste écrit, performe et mêle les deux. Avant de sortir son roman, Laura Tinard l’a performé et filmé . Cofondatrice de 3 000 Degrés, un festival de performances, elle partage sa vie avec d’autres créateurs aux Brasseries Atlas. Avant ça, elle a étudié la littérature française et comparative à la Sorbonne et a été diplômée de l’Institut Supérieur des Arts et des Chorégraphies de Bruxelles.
Son premier ouvrage, J’ai perdu mon roman , dépeint la course effrénée de Pamela, une artiste qui se lance dans la rédaction collective d’un roman. À l’aide d’une simple phrase qui résume l’histoire : « Gloria HideSeek perd le roman qu’elle est en train d’écrire. », Pamela voit le roman évoluer sous la plume de dizaine d’autres auteurs. Des inconnus pour la plupart, qui s’effacent, se corrigent et réécrivent les mots des autres. Pamela devient accro à ce processus de création, et voir en direct ce que font vivre les auteurs à Gloria l’emprisonne devant le texte, complètement dépendante. OceanSkyLine , le roman partagé, fait plus de 8 000 pages et évolue constamment.
Quitter le document partagé m’est devenu difficile. C’était pour moi l’équivalent de couper la parole à quelqu’un en plein milieu d’une conversation sans lui dire au revoir. Dans la vraie vie j’aurais pu avoir ce comportement parce que j’étais de nature impolie mais là c’était dur. Fermer mon ordinateur portable m’était impossible, j’aurais eu l'impression d’empêcher quelqu’un de respirer, de l’étouffer, de carrément le tuer.
Laura, Pamela et Gloria sont toutes Laura, toutes Pamela et toutes Gloria. Elles sont ensemble, elles sont les unes, les autres et ne peuvent pas vivre sans chacune. Un autre personnage de ce roman est OceanSkyLine . Ce roman dans lequel vit Gloria, que Pamela perd et que Laura écrit. Laura qui ressemble tant à Gloria. Ce trio endiablé fait douter le lecteur de la vérité. Laura Tinard flirte avec la fiction comme Pamela couche avec les mots.
Nos cerveaux allaient ensemble dans la même fiction. Je criais : « OUI OUI, c’est ça ! Vas-y ! » À force de va-et-vient sur un mot, sur une idée, on atteignait une phrase parfaite, rythmée, poétique, intelligente. J’étais alors en extase.
L’autrice rend parfaitement compréhensible l’addiction de Pamela. Le rythme tient le lecteur en haleine, le souffle rapide, ses yeux doivent s’adapter au tempo des mots qui s’enchaînent. On ne peut plus s’arrêter de tourner les pages. On pourrait reprocher à Pamela le temps qu’il lui faudra pour sortir de sa dépendance au document partagé : 60 pages. Et pourtant celles-ci défilent, presque à huis clos dans la chambre de la jeune femme, sans que l’on puisse cligner des yeux.
Comme une baignade dans l’océan : on aime ça, on court pour sauter dans l’eau. On se fait maltraiter par les vagues et on boit la tasse, ça pique la gorge. Quand on ressort, un grand sourire aux lèvres, on est fatigué, couvert de sable et de sel, mais heureux d’avoir participé au plongeon maintenant que le soleil sèche notre peau. Laura Tinard nous emmène à travers sa fiction comme un courant qui nous laisse juste le temps de reprendre notre souffle avant d’être embarqué à nouveau.
J’ai perdu mon roman est un ouvrage à dévorer et Laura Tinard une artiste à ne pas perdre de vue. Elle nous embarque à bord de son premier roman en abandonnant toute idée de retour vers la rive. Une traversée vers sa carrière dont nous avons hâte d’être les spectateurs.