Depuis quelques années, l’autrice Virginie Despentes a de plus en plus de succès et les adaptations théâtrales de ses oeuvres se multiplient.
Apocalypse bébé a notamment été créé au théâtre de Liège en octobre 2016, montée par Selma Alaoui. Vernon Subutex a été monté comme projet de dernière année au conservatoire de Mons, et il existe enfin quatre versions de l’essai féministe King Kong Théorie dans le théâtre francophone. Je parlerai ici de deux d’entre elles : celle créée par Émilie Charriot, avec Julia Perazzini et Géraldine Chollet, et celle créée en Belgique par Julie Nayer, Delphine Ysaye, Marie-Noëlle Hébrant et Maud Lefebvre.
J’ai participé en tant qu’assistante au King Kong belge et j’ai vu celui d’Émilie Charriot au festival d’Avignon. J’ai, forcément, eu deux regards différents sur les œuvres : celui de l’assistante, qui suit le projet pas à pas, et celui de la spectatrice critique, qui connaît très bien le texte mais découvre la mise en scène. Je ne prétends donc pas être totalement objective dans l’avis que je livre ici.
Le livre alterne les passages autobiographiques et les passages purement théoriques, un peu plus ardus. Pour un essai, son écriture est assez orale et se prête donc plus aisément à l’adaptation théâtrale. Il est de plus possible d’y trouver un « parcours de vie », autobiographie partielle de Virginie Despentes, et d’y voir tout de suite une « histoire » 1 . Cela explique sans doute partiellement le succès que le texte a connu au théâtre.
Deux adaptations : espace en plein et espace en creux
Voir différentes adaptations d’un même texte est toujours intéressant, car cela révèle les différentes façons d’interpréter un texte. En effet, si le sens que le message de Despentes porte est clair et direct, le choix de dire certains passages plutôt que d’autres est révélateur.
Dans l’adaptation belge que Julie Nayer et les comédiennes belges ont livrée, le parti pris était que Despentes partait de l’autobiographie pour ouvrir sur la théorie politique et la revendication collective. Il était donc essentiel de souligner l’aspect politique à partir du parcours de vie. Cela posait des questions de mise en scène : comment faire passer des pavés théoriques au théâtre ? Comment investir l’espace de jeu qui permettrait aux spectateurs de ne pas être écrasés par les concepts ? Comment faire comprendre sans lire platement ce qui pourrait très bien se lire seul chez soi, comment faire parvenir ?
Le problème a été résolu en rythmant les chapitres par de la vidéo, de la musique, des images fortes. L’option a donc été de soutenir le texte en remplissant l’espace. Les comédiennes ont ajouté des interpellations, souvent humoristiques, au public, afin de l’inclure et de travailler véritablement avec lui. Elles ont cherché par la blague à désamorcer les éventuelles réactions de rejet face à une thématique polémique.
L’adaptation suisse d’Émilie a choisi une option opposée. La pièce raconte avant tout l’histoire d’un individu, du viol à la prostitution. Les parties du texte dites dans la pièce sont donc celles à la première personne, pour la majorité. Les chapitres sur le viol et sur la prostitution sont retranscrits presque en entier, et le chapitre qui explique ce qu’est la « King Kong théorie », sans doute le plus théorique, n’est pas repris 2 .
Le texte ainsi recentré permet une mise en scène sobre et précise : le texte n’est pas soutenu par celle-ci car elle se construit presque uniquement autour des mots résonnant dans un espace vide. Vide au sens propre, puisque le plateau est nu et la scénographie entièrement effectuée par les lumières.
La pièce commence avec une seule personne sur scène, Géraldine Chollet. Elle parle au public de sa propre expérience, en guise de préambule au texte de Despentes. Elle murmure presque et il faut tendre l’oreille pour l’entendre, ce qui crée aussitôt une complicité entre spectateur.rice.s et acteurs sans qu’elle ait besoin de venir les chercher. Elle est seule sur un grand plateau vide, sans aucun appui de jeu, rien pour l’aider si ce n’est son corps. Elle enlève ses chaussures et son pull ; elle danse un court instant. Puis elle cite un passage d’une lettre de Virginie Despentes publiée dans Têtu suite aux manifestations contre le mariage pour tous.
Impossible de ne pas être suspendu à ses lèvres et à sa présence simple et évidente.
Feuilleton sur
les adaptations
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