critique &
création culturelle
La Isla Mínima ,
un thriller politique et photographique

Un thriller sur fond historique post Franco

C’est en incluant cette donnée que le réalisateur parvient à tenir son spectateur en haleine. S’il est facile de poser une date sur un événement historique, comme la mort de Franco en 1975, il est plus difficile de changer les mentalités. Le petit village, où tous se connaissent, voit disparaître deux filles considérées comme « faciles », tandis que les ouvriers sont en pleine grève car ils sont sous-payés. C’est dans ce climat tendu que Juan et Pedro, deux policiers de la brigade d’homicide, vont entamer leur enquête. Les deux filles sont retrouvées dans une rivière, leur corps est mutilé et elles ont vraisemblablement été violées. Alors que Juan reste de marbre, le jeune Pedro est pris de nausées face à ce spectacle macabre.
D’emblée, Juan apparaît comme un homme plus sombre et plus violent que Pedro. L’ex-franquiste n’hésite pas à abuser de la bouteille ou à payer des verres pour glaner des informations, tandis que le jeune démocrate pointe facilement du doigt ceux qui « freinent l’enquête », c’est-à-dire l’armée ou le procureur, et passe par les canaux non officiels pour avoir les informations qu’il souhaite. Le duo s’enfonce un peu plus dans les marécages et dans les plaines désertiques d’Andalousie en suivant la piste d’un négatif, donnée par la mère des deux sœurs. Plus l’enquête avance et plus le caractère brutal et violent de Juan ressurgit et déteint peu à peu sur Pedro.

Cette tragique histoire de meurtre peut en outre rappeler au spectateur belge une histoire similaire, surtout lorsqu’il est le témoin privilégié d’une photo où figurent, côte à côte, les deux sœurs à la chevelure brune…
Ce n’est pas la première fois que le régime franquiste plane au-dessus de l’action d’un film qui traite de la disparition d’enfants ou d’adolescents ; Guillermo del Toro s’y était déjà attelé dans El espinazo del Diablo et El laberinto del Fauno .

Un film photographique

Alberto Rodriguez n’hésite pas à multiplier les prises de vues extraordinaires des grands espaces désertiques et marécageux ; La Isla Mínima prend ainsi sporadiquement la forme d’une véritable photographie, tant ces plans sont nombreux. Les vues aériennes de la région vous donnent le vertige, et les sillons labyrinthiques que forme l’eau au sein des hautes herbes rappellent quelque peu la complexité du cerveau humain.
Une atmosphère étrange se dégage de cette esthétique photographique. Les immenses paysages colorés de la région font véritablement rêver, mais la brutalité des meurtres et les non-dits des villageois en pleine révolte nous ramènent sans cesse à la dure réalité. De plus, ces grands espaces marécageux semblent ouverts en apparence, mais au fur et à mesure que l’enquête avance, le spectateur se sent enfermé dans un bourbier bariolé.

Du reste, la structure du film est extrêmement classique. Le spectateur suit de près l’enquête des deux policiers, les indices qu’ils récoltent, les pistes et fausses pistes qu’ils exploitent. Même si le doute monte entre eux deux, ils restent professionnels et vont au bout de leur investigation. Il manquerait peut-être un soupçon de pression, de tension autour de nos protagonistes pour en faire un thriller haletant. Mais l’esthétique du film rattrape sans peine ce petit défaut.
La fin aigre-douce montre au spectateur que l’Histoire rattrape l’histoire : les deux flics se séparent, le regard inquisiteur de Pedro juge Juan pour ses actes passés car il sait… Il sait que sous Franco, son partenaire a torturé une centaine de personnes, mais cela appartient au passé, à un autre régime…

Même rédacteur·ice :

La Isla Minima

Réalisé par Alberto Rodriguez
Avec Javier Gutiérrez, Raúl Arévalo, María Varod
Espagne , 2015, 105 minutes