Le Démon de la Colline aux Loups de Dimitri Rouchon-Borie
Traversée de l’indicible et des profondeurs de l’âme
Ce roman n’est pas un conte, loin de là. Le Démon de la Colline aux Loups de Dimitri Rouchon-Borie nous plonge progressivement au cœur d’un roman-fiction. Le personnage principal, sorte de chimère des profils croisés durant les multiples procès auxquels l’auteur a assisté, est sombre et singulier. Il nous raconte son histoire, avec ses mots, l’histoire d’une victime devenue bourreau.
« Je crois que c’est ma souffrance qui m’a tué depuis longtemps je ne crois pas que je suis vivant autrement que par mes fonctions biologiques mais dedans je suis mort. »
Ce roman s’inspire des passages de Dimitri Rouchon-Borie dans les salles d’audience dix années durant, à relater des histoires parfois sordides en tant que chroniqueur judiciaire. L’auteur a besoin de comprendre les accusés, de leur rendre une part d’empathie et d’humanité malgré les actes ignobles qu’il peuvent avoir commis. Plongés dans la tête de Duke, protagoniste de cette histoire, nous découvrons un personnage à la fois sombre et touchant. Il reflète une subtilité avec laquelle Dimitri Rouchon-Borie parvient à rencontrer le « Démon » dans toute sa fragilité et sa complexité.
« C’est un roman qui m’a traversé rapidement. » Dimitri Rouchon-Borie, chroniqueur judiciaire et romancier pour la première fois, explique au micro d’« Une Journée particulière » sur France Inter, qu’il a écrit ce roman authentique, profond et saisissant « très vite ». L’auteur nous amène au plus profond des noirceurs de l’âme humaine et nous invite à chercher la passion puis la fureur des crimes horribles que relatent ces pages. La ponctuation et le « parlement », comme l’exprime le protagoniste de cette histoire, ne répondent pas aux codes du langage littéraire que nous connaissons. Cela rend la lecture ardue dans les premières pages, pour nous faire finalement entrer plus facilement dans la peau du personnage.
« La solitude des gens finit par rencontrer la nôtre. On voit bien, par moments, qu'on a affaire à des gens qui sont comme nous. Ils sont très différents de nous, ils ont commis des choses qui sont extrêmement difficiles, mais, quelque part, ces gens-là, c'est quand même nous. »
Oscillant entre passé et présent, nous suivons l’histoire de Duke, un homme emprisonné pour avoir commis l’irréparable et qui retranscrit son parcours dans un journal. Nous traversons ses souvenirs d’enfance aux côtés de ses cinq frères et sœurs à « La Colline aux Loups ». Comme des animaux sauvages, ils rencontrent le monde au travers de leurs sens, de ce qu'ils perçoivent, de leurs peu d’interactions avec l’extérieur. Ses parents, d’une violence constante et inouïe, finissent par commettre l’impensable. Duke fuit donc sa famille pour sa survie et la bête qu’il devient traverse les recoins les plus sombres des villes et des campagnes pour soulager sa souffrance. Ponctué de foi au travers des pages de la Bible et de son amour pour sa plus jeune sœur et Billy, une jeune femme qu’il rencontre durant son périple dans la ville, le livre dépeint sa traversée de la vie dans la douleur.
« Mes images de l’enfance, c’est surtout ça la couverture qui était au sol sur le carrelage dans une pièce et on restait là couchés les uns contre les autres et parfois quelqu’un venait et il se passait quelque chose peut être on nous donnait à manger mais je ne sais pas quoi . »
Le style d’écriture nous plonge immédiatement dans la tête du protagoniste : les mots choisis sont criant de sensibilité et d’innocence. Cette histoire singulière est à la croisée des chemins entre les actes épouvantables et la quête de rédemption constante du protagoniste. Duke est en proie à son passé et inévitablement acteur d’un présent sombre et empreint de violence. Nous ressentons donc sa souffrance, l’incompréhension et l’ignorance qui l’ont traversé durant ces années à « La Colline aux Loups ». Malgré le « Démon », dont il ne décrit que les contours, il nous permet parfois de comprendre comment les événements l’ont amené à commettre le pire.
« C’est aussi sans doute ma souffrance qui a fait le lit du Démon et qui a causé la mort de tous ces gens que j’ai tués. »
Tout au long de l'histoire, le protagoniste alterne entre flashbacks et moments de vie en prison. Ce manque d’indices clairs sur l’époque nous embarque d’autant plus dans son univers et son état d’esprit.
« Je raconte sans mettre d’ordre je ne pourrais pas. »
Le lexique est mené avec précision. L’antithèse est régulière, elle nous confronte aux deux entités qui habitent le prisonnier : l’obscurité des crimes commis face à l’innocence ressentie dans sa plume. Ses descriptions sont souvent crues et froides. Elles embarquent le lecteur dans un univers sensoriel puissant, nous mettent face à une lecture qui va dépasser les mots et nous toucher émotionnellement, pour nous transpercer de part en part.
« Ce qui est étrange avec la fin de mon enfance et la disparition du nid c’est que ça m’a beaucoup intéressé de faire le parallèle parce que c’était l’horreur mais au fond c’était notre paradis et rien n’a été mieux que cela. »
Qu’en est-il du bien ? Qu’en est-il du mal ? Qui sommes-nous pour nous saisir de ce droit de trancher ? Duke lui-même n’en distingue jamais la frontière. Dans ses lignes, l'auteur ne cherche pas à nous donner des réponses mais nous invite plutôt à nous poser davantage de questions. L’introspection dans laquelle il nous immerge est pleine d’espoir, malgré l’atmosphère macabre planant sur ce récit. Je ne suis certainement pas sortie indemne de cette traversée des strates de l’âme humaine et de l’enfer. Ce livre nous saisit, sans jamais nous lâcher. Sans pause, sans reprise d’air, on se laisse happer par l’histoire dramatique et mélancolique de Duke et des fenêtres de la réflexion qu’il nous ouvre sur les forces qui nous poussent à agir.
« J’ai dit les hommes sont des choses vides et des fois leur vie se remplit de bien et des fois de mal et des fois c’est partagé et ça fait une lutte. »