critique &
création culturelle
    C’était 2021 !
    Rétrospective culturelle #7

    Pour moi, 2021 aura représenté une petite bulle d’espoir culturel, marquée avant tout par des retrouvailles tant attendues. Cette rétrospective se focalise (presque exclusivement) sur ces quelques mois de juillet à décembre, qui m’auront fait revivre avec passion des moments de partage dans ces lieux qui nous sont chers.

    Le Démon de la Colline aux Loups , de Dimitri Rouchon-Borie

    Publié début janvier aux éditions Le Tripode, l e Démon de la Colline aux Loups interroge les notions d’hérédité du Mal et de déterminisme. Un premier roman percutant pour Rouchon-Borie, qui s’inspire de son expérience journalistique dans les tribunaux pour cette fiction tourbillonnante de réalisme. Son style particulier, avec une absence quasi totale de virgule ou autre ponctuation, nous précipite, hors d’haleine, dans la spirale infernale subie par un protagoniste qui s’enlise, inévitablement, dans la violence et la souffrance. Très primitif, avec une attention particulière portée aux sens, le texte remet en cause la responsabilité morale et l’engrenage incontrôlable quand on grandit dans un foyer abusif. Récompensé par de nombreux prix, l e Démon de la Colline aux Loups est un livre psychologique, centré avec une justesse rare sur les dommages de l’âme et de l’esprit, lorsque le corps ne connait que l’abus.

    « La Colline aux Loups c’était déjà une prison bien pire que tout imaginez-vous sous l’eau depuis le jour de votre naissance à retenir votre respiration en attendant une bouffée d’air qui ne vient pas ma vie c’est ça. »

    Woodkid, live au Palais 12, 26 octobre 2021

    Après des mois de fermeture généralisée des salles de concert, Yoann Lemoine alias Woodkid a pu enfin présenter au monde son dernier album, sorti pile un an plus tôt, en octobre 2020. Incarnation musicale d’un sentiment d’éco-anxiété qui colle au corps , S16 — qui désigne le soufre dans le tableau périodique de Mendeleïev — est un album aux sonorités métalliques et résonnantes, qui emmène son auditeur dans un univers sombre et déroutant. C’est pourtant le sentiment inverse qui perdure après ce concert, alors que la fosse, portée par les percussions, se retrouve et se déhanche dans une cohésion chaleureuse. Bouleversant de sincérité, de partage et de reconnaissance réciproque, le moment nous laisse un goût d’espoir révolté, qui nous suit, aujourd’hui encore.

    Lulu de Alban Berg, La Monnaie, 4 novembre 2021

    L’adaptation de Lulu de Warlikowski était ma première incursion à la Monnaie. Comment dès lors ne pas être éblouie par ce cadre majestueux et le professionnalisme de la longue performance. Novice en matière de chant lyrique, j’ai pourtant surtout été impressionnée par la technicité des passages dansés, le rêve de la fatale Lulu ayant toujours été d’être danseuse. On retiendra surtout un solo silencieux déchirant de Natascha Petrinsky ; une endurance impressionnante avec une vingtaine de minutes sur pointes pour Rainer Trost (fait extrêmement rare pour un danseur masculin) ; la longue présence sur scène d’enfants de l’école royale de ballet d’Anvers et la rigueur avec laquelle ils exécutent leurs positions ; mais surtout, une Barbara Hannigan inépuisable malgré l’accumulation des performances, entre jeu, chant et danse et la longueur de l’opéra (quatre heures, entractes inclus).

    Gagarine , de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh

    L’impression générale que me laisse Gagarine oscille entre le rêve et la douceur. Sélectionné dans la catégorie « Premiers films » au festival de Cannes 2020 qui a finalement été annulé, et diffusé dans nos salles en juillet 2021, il s’agit largement pour moi du film de l’année. On y suit l’adolescent Youri dans la cité Gagarine à Ivry-sur-Seine, alors qu’il apprend que l’endroit où il a passé toute sa vie va être détruit, les habitants expulsés. Entre désabusement et révolte pacifiste, Youri et ses amis tentent de préserver ce en quoi ils croient. Le film nous emporte avec un lyrisme magique, le tout sans aucun voyeurisme, aucune exagération, aucun cliché sur les cités urbaines. On décolle plutôt vers la métaphore de l’espace, le rêve de Youri étant de devenir astronaute, à l’instar de celui qui a donné son nom au complexe résidentiel. Dans Gagarine , on restitue à l’imaginaire toute sa puissance, appuyée par des couleurs pastel qui enrobent le quotidien, et une bande sonore étonnante, qui fait résonner en chacun un mélange d'empathie et de nostalgie.

    Maid , de Molly Smith Metzler

    La mini-série netflix propose une adaptation des mémoires de Stéphanie Land, Hard Work, Low Pay and a Mother’s Will to Survive , où l’on est brutalement mis face au calvaire d’une classe sociale pauvre qui se bat pour survivre malgré un système qui semble tout faire pour leur mettre des bâtons dans les roues. Si ce thème est bien respecté dans Maid , où, comme son nom l’indique, la protagoniste se démène comme femme de ménage avec un salaire de misère et des conditions de travail odieuses, ce n’est pas la thématique la plus marquante. Si Alex se retrouve dans cette situation si extrême, c’est avant tout parce qu’elle cherche à s’extraire d’une relation toxique dans laquelle le père de son enfant est alcoolique et violent. La particularité de Maid réside dans son rejet de la caricature et le message est clair : on ne doit pas vivre le pire du pire pour être valide dans sa détresse. Les différents membres de cette famille y sont incarnés avec justesse par un casting attachant, entre Margaret Qualley (découverte dans l’époustouflant The L eftovers ) qui campe Alex, une jeune femme désespérée époustouflante et touchante, Nick Robinson dans le rôle du petit ami en dégringolade qu’on ne parvient jamais vraiment à rejeter, Rylea Nevaeh Whittet en tant que la fille du couple, désarmante d’innocence et de douceur, et enfin Andie MacDowell, la mère de Alex (et de l’actrice également), dont la folie et la fragilité en font un personnage hors du commun.

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