Le Deuxième Acte
Derrière les masques
Film d’ouverture du festival de Cannes 2024, Le Deuxième Acte de Quentin Dupieux nous plonge une nouvelle fois dans son univers singulier. Grâce à un casting impeccable et des dialogues aussi drôles qu’incisifs, le prolifique réalisateur français nous fait rire, dénonce et déstabilise.
Dire que Quentin Dupieux est un réalisateur prolifique relève presque de l’évidence. C’est simple : il s’agit de son sixième long-métrage en l’espace de quatre ans. Une productivité impressionnante qui s’accompagne d’une formidable capacité à trouver de nouvelles histoires, toutes plus déjantées les unes que les autres.
Dans Le Deuxième Acte, Florence souhaite présenter David, l’homme qu’elle aime, à son père. Seulement, David n’éprouve absolument rien pour elle. Du coup, il décide de la présenter à son ami Willy. Pour ce faire, les quatre personnages se rencontrent dans un restaurant perdu au milieu de nulle part. Une fois à l'intérieur, les événements prennent une tournure inattendue.
Passé maître dans l’art de l’absurde, que ce soit avec son pneu tueur dans Rubber, sa mouche géante dans Mandibules ou encore ses différentes versions de Salvador Dalì dans Daaaaaalì !, Quentin Dupieux propose cette fois-ci une histoire plus terre à terre, plus tournée vers le réel et notre société.
Rapidement, le film se démarque par son subtil mélange entre fiction et réalité. Dans plusieurs scènes, au beau milieu d’un dialogue, les acteurs quittent leur rôle pour s’exprimer personnellement face à la caméra. Cela commence dès la première scène, lorsque David et Willy marchent ensemble pour se rendre au restaurant. Au cours d’une longue discussion, les propos de Willy commencent à déraper, poussant David à regarder la caméra pour expliquer qu’on ne peut pas dire ça, au risque de voir les salles de cinéma se vider.
Au fur et à mesure que les minutes passent, on comprend où veut en venir Quentin Dupieux : traiter de plusieurs sujets d’actualité, aussi délicats et sensibles soient-ils. Il s’est d’ailleurs voulu clair à ce sujet, en déclarant notamment que « ce film, très bavard, dit avec des mots bien choisis tout ce que j’ai envie de dire. [...] Le Deuxième Acte ne cache absolument rien ».
Par exemple, en plus d’évoquer la question de ce qui est politiquement correct aujourd’hui, Le Deuxième Acte aborde également la thématique du mouvement #MeToo et des dérives au sein de l’industrie du cinéma. Lors d’une discussion hors tournage, Willy essaie ainsi d’embrasser par surprise Florence, mais cette dernière le repousse en lui expliquant que, si elle le voulait, elle pourrait détruire sa carrière.
D’emblée, Dupieux entre dans le vif du sujet, en frôlant la limite. Heureusement, grâce à son talent et à son intelligence, il ne dépassera jamais cette fameuse limite dans le film, même si certaines thématiques auraient pu être abordées avec plus de finesse afin de renforcer le propos.
Si le sujet des abus sexuels dans l’industrie est abordé de façon un peu maladroite, celui de l’intelligence artificielle est, lui, évoqué de manière très drôle et avec énormément d’autodérision. Une fois la dernière scène tournée, les comédiens reçoivent un appel du réalisateur, qui se trouve être une intelligence artificielle. Ce dernier leur explique ce qu’il pense des scènes et précise que ce qui ne va pas sera supprimé en post-production. Lorsqu’un des acteurs essaie de suggérer une alternative pour une scène, l’IA explique, avec une certaine froideur, qu’elle n’a que faire de ces propositions. Aussi drôle qu’osé, Quentin Dupieux se moque habilement d’une certaine peur entourant tout ce qui a trait au monde de l’art : celle de perdre le contrôle et de ne plus avoir d’emprise sur sa propre œuvre.
Bien sûr, si les dialogues et situations sont tellement drôles, c’est avant tout grâce à l’excellent casting du film, avec une mention particulière pour Raphaël Quenard. Nouvelle sensation du cinéma français, l’acteur s’était fait particulièrement remarquer dans Yannick du même Dupieux. Avec son phrasé si particulier et son insouciance aussi attachante que comique, l’acteur livre ici une performance magnifiquement maîtrisée. À ses côtés, Vincent Lindon est également parfait en vieil acteur qui n’a plus envie de croire en ce qu’il fait, jusqu'au moment où il reçoit un appel pour jouer dans le prochain Paul Thomas Anderson, ce qui gonflera considérablement son égo auprès de ses partenaires.
Pour ce qui est de Louis Garrel et Léa Seydoux, ils sont plus discrets, plus empruntés. Enfin, difficile de parler du Deuxième Acte sans évoquer la prestation absolument lunaire de Manuel Guillot. Tenancier du restaurant « Le Deuxième Acte », ce dernier se retrouve à jouer en tant que figurant dans le film qui est tourné dans son établissement. Malheureusement pour lui, le stress sera si intense qu’il se retrouvera dans l’incapacité de verser correctement du vin, quitte à demander à s’entraîner pour réussir la prise. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas le cinéma de Quentin Dupieux, le réalisateur a ce don pour créer des personnages fous, nous décrochant systématiquement la mâchoire. Comme toujours, ce nouveau cru signé Dupieux risque de diviser. Tandis que certains loueront l’ingéniosité du film, d’autres pourraient reprocher une approche un peu forcée de certains sujets d’actualité. Cependant, Le Deuxième Acte est peut-être l'un des meilleurs films de Quentin Dupieux. S’éloignant des histoires surréalistes qui parfois ne savaient plus trop où aller, le réalisateur a cette fois-ci opté pour la sobriété, et cela lui réussit particulièrement à nos yeux.
Avec une durée de 1h10 (nous sommes chez Quentin Dupieux), Le Deuxième Acte passe à une vitesse éclair, pour finalement nous laisser avec ce qui fait du bien : un grand sourire au bord des lèvres.