critique &
création culturelle

Le garçon et le poisson magique

Un opéra ludique et interactif pour enfants

Deux rédacteur·ices Karoo, ami·es et amateur·ices d’opéra, découvrent pour la première fois un spectacle musical enchanteur conçu pour les enfants, Le garçon et le poisson magique par Leonard Evers, à la Monnaie. Une expérience unique, comme un livre de contes qui prendrait vie sous nos yeux !

Un petit garçon du nom de Jacob vit avec ses parents sous un arbre, au bord de la mer. Un jour, Jacob attrape un poisson à la pêche. Seulement, ce poisson n’est pas comme les autres : il parle ! La petite créature supplie Jacob de le laisser partir. En échange, il lui accordera tous ses souhaits. Le petit garçon libère alors le poisson et lui demande des chaussures neuves. Fier de sa nouvelle possession, il rentre en courant chez ses parents pour leur raconter l’histoire. Ceux-ci, stupéfaits, envoient Jacob demander au poisson une maison confortable dans laquelle vivre. Le fantastique animal exécute aussitôt son souhait, mais ses parents ne sont jamais satisfaits et en demandent toujours davantage au poisson. Celui-ci s’affaiblit un peu plus à chaque requête dans une mer devenue tempétueuse.

Lorsque nos désirs les plus chers seront exaucés, serons-nous enfin heureux·ses et satisfait·es ? C’est la question qu’aborde Le garçon et le poisson magique, un opéra pour enfants de Leonard Evers, inspiré du conte des célèbres frères Grimm, « Le pếcheur et sa femme » (XIXe siècle). Le conte met en évidence que l’accumulation de biens matériels ne mène pas toujours au bonheur et peut nous éloigner de l’essentiel. Une morale certes intéressante, mais jusqu’à un certain point, dans la mesure où les besoins primaires sont assurés. En effet, il est normal de désirer une certaine sécurité matérielle et cela ne peut être reproché à personne, au risque de véhiculer un discours moralisateur et condescendant qui invisibiliserait et dénigrerait le vécu et les difficultés des classes plus défavorisées. Au début de l’histoire, Jacob vit dans une pauvreté extrême sous un arbre et à la fin du récit, ses parents et lui ne sont à nouveau heureux et satisfaits qu’en retournant à cette condition initiale.

Le jour de la représentation, le 12 octobre dernier, vos deux rédacteur·ices au cœur d’aventurier·ère se rendent à la Monnaie avec impatience, ne sachant trop à quoi s’attendre. Dans la salle, il fait sombre et l’excitation des enfants est déjà perceptible. Sur scène, un décor simple et poétique : une structure en bois formant une sorte de cabane, des percussions variées, un arbre et un grand cercle de bronze suspendu, comme une lune. L’atmosphère générale à la fois sobre et mystique illustre le récit de manière percutante et univoque.

La pièce commence par l’entrée de Marie-Juliette Ghazarian et de Laura Trompetter. La première interprète les différents personnages en chanson et en parole, tandis que la seconde l’accompagne de ses instruments. Toutes deux s’adressent directement aux enfants (et aux plus grand·es) afin de les inviter à jouer un rôle actif dans la pièce : iels devront imiter avec elles les vagues de la mer, d’abord calmes, puis plus impétueuses à mesure que les requêtes de Jacob gagnent en importance. Les enfants sont ravis et vos deux rédacteur·ices prennent également leur rôle très à cœur.

Commence alors l’histoire et Marie-Juliette Ghazarian occupe toute la scène avec entrain. Au fil du conte, elle dévoile progressivement de nouveaux éléments de décor qui se déplient à partir de la structure en bois initiale, à chaque fois qu’elle soulève une planche. Ces apparitions prennent le public au dépourvu, pour son plus grand émerveillement. La scène, qui était de prime abord si épurée, explose à présent dans tous les sens. Les passages chantés, pas toujours très intelligibles, apportent une certaine variation dans la narration.

Les instruments de Laura Trompetter accompagnent l’histoire comme une ponctuation, dans une parfaite et fascinante symbiose. Elle forme à elle seule un véritable orchestre, jonglant avec une aisance déconcertante entre ses différents instruments à percussion : xylophone, triangle, gong, caisse, carillon, etc. L’acoustique n’est par contre pas optimale et il est parfois difficile d’entendre sous le brouhaha enthousiaste des enfants. La représentation d’une petite heure semble également un peu longue pour eux, la fin étant marquée d’agitation et d’un manque de concentration générale.

On constate également que cette interprétation s’éloigne du conte originel des frères Grimm. En effet, dans la version de Leonard Evers, ce sont les parents qui exigent toujours plus du poisson, tandis que dans la version d’origine, c’est la femme du pêcheur qui est présentée comme insatisfaite et superficielle, ce qui aujourd’hui aurait paru stéréotypé et misogyne.

« Tarare ondin, Tarare ondin,

Petit poisson, gentil fretin,

Mon Isabeau crie et tempête ;

Il en faut bien faire à sa tête. »

L’opéra est un monde qui peut parfois sembler inaccessible ou en tout cas exclusif et quelque peu intimidant. Cette initiative est donc très intéressante, car elle permet de faire découvrir cet univers artistique aux enfants, en abattant quelques murs invisibles. Le spectacle est accessible pour un public jeune, car il dure moins longtemps que l’opéra classique, il est interactif et les passages chantés ne sont pas majoritaires, ce qui permet de mieux suivre le récit. De plus la représentation était en français et non en allemand ou en italien, comme ça peut souvent être le cas à l’opéra. Vos deux rédacteur·ices ont ainsi pu redevenir des enfants l’espace d’une petite heure en essayant de se fondre dans la masse et dans les vagues.

Mêmes rédacteur·ice·s :

Le garçon et le poisson magique

par Leonard Evers
d'après un texte des Frères Grimm
Avec Marie-Juliette Ghazarian et Laura Trompetter
Mise en scène par Kenza Koutchoukali
Décors par Amber Vandenhoeck

Vu aux Ateliers de la Monnaie, le 12 octobre 2024

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