Le Louvre en visite virtuelle
La dernière exposition de la Petite Galerie du Louvre, « Figure d’Artiste », nous ouvre ses portes virtuelles pour un confinement tout en culture. Retour sur une visite pleine de chefs-d'oeuvres et de finesse virtuelle.
Le confinement… Une dure et longue période pour beaucoup d’entre nous lors de laquelle on s’occupe par tous les moyens. Ainsi, nous avons tous tenté de trouver notre nouveau violon d’Ingres : peinture, puzzle, cuisine, méditation, écriture, sport ou même (très) grand nettoyage de printemps. Mais combien d’entre nous se sont prêtés au jeu de la visite virtuelle ? Nous en avons entendu parler aux informations et par-ci par-là, mais qui a réellement tenté l’immersion ?
Tentons ensemble de découvrir une exposition, de la décrire, de la comprendre et de l’apprécier. J’ai choisi, pour nos premiers pas dans le monde de la visite virtuelle, l’un des plus grands et célèbres musées : le Louvre.
Près de la collection des sculptures françaises, Jean-Luc Martinez (président-directeur du musée) et ses professionnels ont décidé d’installer une galerie qui présente différentes expositions. Après « L’Archéologie en Bulle », la Petite Galerie met à l’honneur l’artiste par sa place dans la société et les questions autour de son identité : « Figure d’Artiste ».
Après avoir traversé le couloir d’un seul clic, nous entrons dans une première section nommée Signatures qui retrace une petite histoire de ce concept a priori évident. Ainsi, les œuvres exposées s’étendent de l’Antiquité au XIX e siècle et tentent de montrer la place et le but de la signature dans leur société respective. Je trouve dommage que l’on ne puisse pas faire sa propre visite en cliquant sur les œuvres et les cartels de nos choix… Des deux côtés, des œuvres sont présélectionnées et nous dirigent ; il y en a certaines sans « cartel » virtuel. Par exemple, on remarque en tournant à gauche un fragment de vase grec (vers 550-510 avant J.-C.) représentant la déesse Artémis et au-dessus de celle-ci une inscription indique le nom du potier Nicosténès. Malheureusement, nous ne pouvons pas zoomer sur ce fragment ni même lire son cartel. Je vous conseille ainsi de suivre votre visite virtuelle tout en étant sur le site de la Petite Galerie pour voir de plus près toutes les œuvres et leur cartel. Mais finissons notre propos sur ce fragment : la signature que l’on y voit fait partie des rares formes de signature du monde grec mais elle marqua les prémices de l’identité artistique et de la valorisation de l’artiste. À cette époque signe de renommée et d’excellence de l’artiste ou de son atelier, la signature a évolué et ses intentions aussi. L’huile sur toile Les attributs de la peinture, de la sculpture et de l’architecture (1769) d’Anne Vallayer-Coster, artiste du XIX e siècle, avait été présentée dans un salon de l’Académie royale de peinture et de sculpture et devait lui permettre d’y entrer. Il fallait ainsi y démontrer sa maîtrise technique et ses connaissances iconographiques pour prouver l’étendue de son savoir-faire. Fille d’un artisan aisé, elle signa son tableau (sur l’établi) pour revendiquer son indépendance et une place plus grande pour les femmes à l’Académie. J’aime beaucoup la composition de cette salle qui montre explicitement l’émergence de la figure de l’artiste à l’Antiquité et l’impact que cela a eu sur l’académisme du XIX e .
Cette première partie de l’exposition présente donc l’évolution de la valeur des artistes au fil du temps. Mais ces signatures ne sont que le premier pas vers une mise en avant de la figure de l’artisan. Arrive ensuite une seconde salle qui dévoile littéralement des figures d’artistes : Autoportraits.
Cette salle est ma préférée. Tous ces grands visages si connus regroupés dans un tout petit espace, de Poussin qui ne se représenta que très rarement à Rembrandt et ses dizaines d’autoportraits. La superficie de cette salle est similaire à la première. Ainsi le visiteur se sent dans une forme d’intimité avec ces artistes intemporels. Tous ces regards austères, bienveillants, stricts ou sévères sont connus du grand public, le visiteur ne se sent pas dépaysé, au contraire, il se sent à son aise. Ce choix d’œuvres est évidemment délibéré : l’intérêt étant ici de prouver que les artistes, à travers de ces autoportraits, se sont créés une notoriété, une image à laquelle nous nous sommes habitués, comme les autoportraits de Van Gogh.
L’autoportrait, permet au bon artisan du début de la Renaissance de s’affirmer en tant qu’artiste digne d’un portrait. Les artistes ne sont plus des figurants qui représentent des figures royales ou religieuses, ils sont des êtres à part entière, digne de leur propre portrait. Ils commencent par être timides et subtils comme avec cette Tête de saint Jean-Baptiste (1507) d’Andrea Solario où le visage du peintre est remarquable dans le reflet du pieds de la coupe.
D’autres artistes plus humbles se représentent, non pas pour leur ego, mais pour des commandes officielles. C’est le cas de Nicolas Poussin et du Tintoret. Poussin choisi une posture, un décor et des couleurs académiques qui nous rappellent ses chefs-d’œuvre aux couleurs vives ; le Tintoret, maître de la couleur, se représente cependant avec une grande gravité et dans une atmosphère sombre et mélancolique. Ces deux grands artistes ont connu un succès tel de leur vivant que certains commanditaires souhaitaient avoir en leur possession leur autoportrait. Cette partie de l’exposition est d’autant plus intéressante qu’elle permet d’entrevoir le large panel d’œuvres exposées au Louvre. En effet, la principale critique faite au musée est le nombre excessif d’œuvres à la chronologie extrêmement diverse et éloignée. Mais réaliser une bonne sélection d’œuvres donne lieu à une exposition de très grande qualité. Un second point qui rend cette exposition consciencieusement agencée est d’une évidence telle qu’on n’y prête même plus attention : la muséographie. Ici, le jeu des lumières est complexe car cette seule salle regroupe différents tableaux qui requièrent des lumières variées pour les mettre en avant. Jean-Luc Martinez le souligne en prenant l’exemple des autoportraits de Delacroix et Vigée Le Brun : deux tableaux aux styles et aux couleurs tout à fait différents. Les muséographes de cette exposition ont, selon moi, réussi leur mission en laissant une place considérable à tous les tableaux.
D’autres portraits se trouvent dans la salle suivante qu’on appelle Vie d’Artistes. Un panneau représente Cinq maîtres de la Renaissance florentine , Giotto, Uccello, Donatello, Manetti et Brunelleschi. Cet artiste anonyme rend hommage aux fondateurs de l’humanisme italien des XIV e et XV e siècle : peintres, sculpteurs, architectes mais aussi mathématiciens, ils sont solennellement représentés à l’image de l’œuvre de Vasari. Celui-ci était un peintre et biographe toscan qui écrivit un ouvrage précieux pour nos chercheurs historiens : les Vies . Ce recueil regroupe les biographies des grands noms italiens de Giotto (l’un des premiers à utiliser une perspective primitive) aux virtuoses tels que Donatello ou Michel-Ange. Vasari, tout comme l’auteur de ce panneau, rend compte du mérite pour les artistes qui ont fait progresser les arts.
La dernière salle de cette exposition se divise en deux parties : l’Académie et le Salon . La première montre la place de l‘Académie dans l’émergence de la figure de l’artiste. En effet, les réunions, réceptions et expositions ont permis de contribuer à l’amélioration du statut de l’artiste. C’est d’ailleurs la place du portrait qui a offert cette nouvelle place à l’artiste, comme nous l’avons dit précédemment : l’artiste est aussi digne d’être représenté que les plus célèbres et les plus nobles. Ainsi, le grand tableau à gauche en entrant dans la salle est assez représentatif de ces représentations « royales ». En effet, Nicolas de Largillière peint en 1686 un Portrait de Charles Le Brun (artiste académicien) dans son atelier ; sa position rappelle les portraits de la cour. Avec cette huile sur toile qui a été présentée en tant que « morceau de réception » (œuvre de l’artiste qu’il expose pour entrer à l’Académie), Largillière donne à l’académicien un statut noble et d’homme plus que respectable.
Les Salons ont joué un grand rôle dans l’émergence d’artistes de cette époque : ces événements organisés par le Roi permettait de présenter au public les œuvres des membres de l’Académie. François-Joseph Heim peint l’un de ces salons et par les dimensions majestueuses et la place accordées aux tableaux sur la surface de la toile, il montre la place de l’État dans la notoriété des artistes.
Certains trouveront que ces quatre dernières parties de l’exposition se répètent en reprenant toutes la figure de l’artiste à travers la question des (auto)portraits. La première thématique de la signature n’a au contraire pas été assez explorée : on ne parle pas des artistes anonymes ni des soucis d’attribution qui sont des pistes intéressantes à explorer. Cependant, ce n’est « que » la Petite Galerie du Louvre et la rendre trop complexe pourrait rendre la visite moins agréable.
Il faut aussi souligner la place de la littérature dans cette exposition qui complète bien et simplement l’exposition en présentant la figure de l’artiste dans d’autres domaines. Mais à cause de l’agencement de la visite virtuelle, nous ne pouvons pas nous pencher sur les recueils exposés pour les lire eux ou leur cartel. La visite aurait pu être encore plus complète avec ces éléments !
Alors, et vous, comment s’est passé votre visite virtuelle ? Pas trop lourd pour les yeux de cliquer partout et de devoir augmenter la luminosité de son écran ? Pour ma part, cela aura été un grand succès. J’aime marcher dans les expositions, faire des allers-retours et griffonner dans un carnet pour plus tard, mais rester assis dans son lit avec son ordinateur, un bon chocolat chaud à la main, c’est bien aussi : sans autres visiteurs qui cachent l’autoportrait de Poussin, ni vilains reflets sur les vitres protectrices des tableaux !
Pour nos lecteurs de Paris ou des environs, l’exposition est disponible jusqu’au 29 juin 2020. En attendant, tous à nos ordinateurs et restons chez nous !