Le Petit Roi de Mathieu Belezi
Violence ou désespoir ? Telle est la question !
Que se cache-t-il derrière un enfant violent ? Aussi surprenante que cette question puisse paraître, elle en devient touchante et cruelle à la fois sous la plume décidée et sans tabou de Mathieu Belezi dans son roman Le Petit Roi. Mêlant les thèmes de l’abandon, de la violence et de la cruauté, c’est pourtant un récit touchant aux couleurs provençales qui est proposé au lecteur. Face à une représentation tout aussi authentique qu’effrayante de la haine infantile, personne ne ressortira intact de cette lecture.
Des cris, des pleurs, un couteau, un départ précipité… Voici le triste commencement d’une nouvelle vie pour Mathieu qui, du haut de ses 12 ans, s’insurge contre un abandon maternel injustifié. Est-ce sa faute si ses parents se sont séparés ? Ne mérite-t-il pas une vie normale, comme les autres enfants ? Qu’a-t-il fait de mal pour se retrouver dans le fin fond de la campagne, entouré d’animaux de ferme, de lavande et d’un vieillard qui se révèle son grand-père ? Face à tant de questions condamnées à rester sans réponse, Mathieu n’a pas de choix : il faut qu’il trouve un moyen d’épancher les sentiments d’injustice et de haine qui montent en lui malgré la tendresse que tente maladroitement de lui offrir son Papé. Un peu malgré lui, il découvre que la violence peut l’aider face à ses insomnies et les questionnements qui le harcèlent jours et nuits. Violence envers les animaux, violence envers lui-même, violence envers ses camarades de classe: tout est bon pour faire comprendre aux autres la souffrance que lui-même doit endurer face à l’absence de ses parents. Mais jusqu’où cette violence va-t-elle le conduire ? La vie en pleine nature peut-elle apaiser les maux d’un enfant blessé ? Sa mère reviendra-t-elle le chercher un jour ? Tout cela, Mathieu va vite le découvrir… parfois bien malgré lui.
« J’ai douze ans et quelques heures. Je viens d’enfoncer le poing dans la crème Chantilly d’un gâteau d’anniversaire. Á présent la voiture de ma mère s’éloigne, et je demeure sous le tilleul à tenter de comprendre ce qui n’est pas compréhensible. C’est un soir d’août, roussi de chaleur, qui donne envie de pleurer. »
Voyageur invétéré ayant étudié la géographie à Limoges, en France, et ayant vécu aux quatre coins du globe en allant du Mexique à l’Italie et en passant par l’Inde et le Népal, Gérard-Martial Princeau se lance, assez tardivement et après une carrière dans l’enseignement, dans l’écriture. Aussi connu sous son nom de plume Mathieu Belezi, l’auteur partage ce qui semble être une passion du voyage dès ses premiers romans tels que Je suis seul et j’ai la fièvre (1988) et Le Ravin (1996) dans lesquels il traite avant tout du désir de voyage et du déracinement. C’est d’ailleurs en traitant de la colonisation algérienne au XIXe siècle qu’il remporte le prix littéraire du Monde en 2022 et le prix du Livre Inter en 2023 avec son roman Attaquer la terre et le soleil (2022). C’est notamment pour toutes ces raisons que l’on peut dire qu’il surprend avec son roman Le Petit Roi, publié aux éditions Le Tripode, avec lequel il signe un récit provençal pure souche dans lequel il narre la vie simple et souvent rude des paysans français de Haute-Provence à une époque désormais révolue. Loin d’opérer un virage à 180°, Mathieu Belezi renoue pourtant avec certains thèmes qu’il semblait déjà affectionner dans nombres de ses œuvres : le déracinement, ainsi que l’enfance et ses maux. C’est donc à travers une narration rude, authentique et touchante que l’auteur nous propose d’expérimenter toutes ces peurs et angoisses qu’un enfant blessé et abandonné peut ressentir. Les lecteurs sont alors mis face à un questionnement profond : jusqu’où la violence peut-elle aller lorsqu’on la croit salvatrice ?
« À six heures mon grand-père est debout. En caleçon et tricot il réveille la cheminée, jette une poignée de sarments sur les braises, souffle avec son souffle de vieux jusqu’à ce qu’une flamme lui saute au visage. […] Ce sont des gestes familiers, des manières paysannes d’entrer avec ses mains et son corps dans le jour nouveau qui fait silence. Il les reproduit depuis qu’il est veuf, depuis vingt ans. »
Il est clair que le récit offert à ses lecteurs par Mathieu Belezi se veut authentique et pur. De cette authenticité parfois poussée à l’extrême en ressort une narration simple et efficace reflétant une vie campagnarde et fermière qui semble aux antipodes de la vie urbaine et effrénée souvent menée de nos jours. Néanmoins, la simplicité et la sincérité d’écriture dont fait preuve l’auteur va parfois jusqu’à la cruauté, n’hésitant pas à briser les tabous de la violence animale, du harcèlement scolaire, de la violence conjugale et du suicide. Les âmes trop sensibles sont priées de s’abstenir car tout cela est décrit à travers les yeux et la perspective d’un enfant de 12 ans qui vit ces violences de trop près et qui se veut être le protagoniste direct de certains de ces actes agressifs et meurtriers, que ce soit contre d’autres enfants de son âge ou, plus souvent, contre des animaux. Allant parfois jusqu’au sadisme, il est très dur de voir un enfant prendre autant de plaisir, surtout à un si jeune âge, à la vue du sang et de la souffrance d’êtres vivants innocents. Ce sadisme se révèle d’autant plus pertinent que le jeune narrateur semble loin d’être un être innocent lui-même. Vif d’esprit et utilisant mots et tournures de phrases précises, développées voire même complexes, Mathieu, pour ses 12 ans, voit le monde comme un enfant qui a trop vécu et dont la maturité le pousse encore plus loin dans ses travers. C’est notamment pour cette raison que la sauvagerie de ses gestes reflètent la férocité de sa haine envers un monde, et des parents, qui l’a privé d’un cocon familial stable et dont il cherche par tous les moyens de se venger.
« Je me venge sur les faibles, à l’heure des récréations. Je n’ai pas mis longtemps à trouver mon souffre-douleur, une tête chafouine qui fréquente les premiers rangs. Je saisis l’élève par le col de son blouson et l’entraîne malgré ses pleurs derrière la remise. Je ne supporte pas qu’il fasse le malin en classe, qu’il réponde aux questions des maîtres. Je le gifle pour qu’il se taise. »
Bien que le sadisme présent dans le livre rende la lecture parfois malaisée, il faut tout de même comprendre que ce malaise face à la violence se veut sans aucun doute l’incarnation d’une souffrance infantile intense et d’une absence presque totale de soutien, familial ou autre, face à cette souffrance. La lecture du roman de Mathieu Belezi va alors au-delà du simple récit mais revêt les couleurs d’une réflexion profonde autour de l’abandon familial et de la violence conjugale et surtout de tout ce que cela peut engendrer dans l’esprit et la personnalité d’un enfant innocent. À travers cette perspective, le sadisme peut alors être interprété avec plus de facilité,surtout lorsque les descriptions complètes mais brèves prennent racine dans un cadre où fermiers et nature vivent en paix et en harmonie. Un effet de balancier soulageant le lecteur est alors créé entre une esquisse d’un paysage naturel doux et équilibré et une agressivité inattendue et injustifiée venant balafrer ce paysage.
« Une autre fois, embusqué dans les herbes, j’assomme avec une pierre adroitement lancée un rat d’eau qui n’a pas détecté ma présence. Je me précipite. Il est là sur le sable, à moitié étourdi, attendant de retrouver ses forces pour s’enfuir. Avec un bâton taillé en pointe je lui perce le ventre. Il pousse un cri, ses pattes s’agitent furieusement dans le vide pendant que le sang coule. Autour de moi, ce ne sont que verdures tendres se livrant sans vergogne aux jeux de la résurrection. Et ce sang, la couleur crue, sombre et menaçante qu’il impose me venge de la désinvolture du monde à mon égard. »
Malgré son style parfois cru, Le Petit Roi peut tout de même se dévoiler comme étant touchant de par les profondes réflexions qu’il impose chez le lecteur autour d’une enfance gâchée par des problèmes d’adultes. La violence de ce roman est caractéristique de la plume droite et directe de l’auteur qui ne veut pas que son message soit flou ou mal interprété. Il veut nous présenter, parfois trop directement, un récit d’émotions fortes et poignantes qui retournent l’estomac et met en avant l’impact que les expériences indirectement vécues par un enfant peuvent avoir durant toute sa vie. C’est ce que l’on appelle alors une violence salvatrice et révélatrice qui donne aux lecteurs le goût d’aller plus loin, et surtout de voir jusqu’où un enfant de 12 ans peut aller pour se venger du désamour de ses parents.