Lisière fantôme de Jérôme Lafargue
Aussi léger qu'envoûtant
Lisière fantôme de Jérôme Lafargue suit les tourments d’Augustin après qu’une discrète manifestation surnaturelle commence à lui jouer des tours. Entre passé et présent, réel et irréel, occultisme et réalisme, ce roman nous fait traverser les siècles et les frontières pour découvrir l’histoire troublante d’une jeune bergère du XVIIe siècle qui semblerait étroitement liée à la famille paternelle d’Augustin, dont celui ne sait en fait pas grand chose…
« Un mouvement de recul le fait chuter de son lit. Son pull couleur mangue trône sur le haut de la pile des tricots. Plié avec soin, et non à la diable comme il a coutume de le faire. Augustin n’a pas de femme de ménage. Personne d’autre que lui n’a les clefs de la maison. Ce qu’il voit n’a pas de sens. Il se lève, s’approche avec précaution et touche le pull. Il ne rêve pas, il est bien là. Comment est-ce possible ? »
À ne pas lire si nous ne désirons pas réveiller notre âme enfantine en nous laissant croire que les fantômes existent. La mystérieuse disparition d’un pull aux couleurs controversées nous saisit dès les premières pages. Non. Ce n’est pas possible ? Pas une histoire de fantôme ? Si, et c’est justement l’occasion de replonger en enfance avec une histoire à en troubler plus d’un, marquée par une touche de modernité. Lisière fantôme est léger, facile à lire. Ça fait plaisir.
« Assez tôt dans sa vie, Augustin a découvert sur lui-même trois choses fondamentales : un refus absolu de toute autorité ; une curiosité insatiable ; un don pour la synthèse. De là, il a créé son propre emploi. Il écrit ce que les autres n’ont pas le temps, le désir ou la compétence d’écrire. […] Il créa sa micro entreprise, qu’il nomma avec une certaine pédanterie Encyclios Vagabundus. Et, avec le recul, c’était bien ce qu’il était devenu, une encyclopédie vagabonde, au service de tous. »
Augustin passe ainsi le plus clair de son temps dans les bibliothèques, à se documenter sur le partage des territoires du Moyen-Orient entre 1916 et 1923, l’histoire de la piraterie méditerranéenne ou encore le vécu des rescapés d’un massacre au Kenya. Jérôme Lafargue possède une belle écriture, teintée de malice et d’érudition. Il semblerait qu’il se sente particulièrement proche d’Augustin, son personnage. Lisière fantôme se trouve toujours à la lisère entre fiction et vérité, passé et présent, réel et irréel, occultisme et réalisme ; un titre bien choisi finalement. Nous nous trouvons toujours entre deux pôles, tel un funambule marchant sur un fil, à deux doigts de tomber d’un côté comme de l’autre mais qui ne flanche pas et parvient à poursuivre son chemin sans chuter.
Dans ce roman, il y a beaucoup de réussites : un rythme maîtrisé, un découpage soigné, une écriture pointue, de nombreux cliffhangers1 bien placés, l’inclusion d’un dessin qui permet une immersion sans retour. Soit, Lisière fantôme est une réussite.
« Même si l’avion pour Nairobi ne décolle que très tard dans la journée du vendredi, il décide de rejoindre Paris dès la veille. Il trouve un TGV qui l’amène à destination en fin d’après-midi. Il a pris la peine auparavant de téléphoner à un copain éditeur, ravi de le loger pour une nuit. La soirée en sa compagnie, puis la journée suivante passée à flâner lui permettent de ne plus penser constamment au pull. Pull, pull, pull, pull, pull, lui serine pourtant son cerveau avec insistance.
- Ah mais ta gueule !
Il l’a apporté, le pull. Ce serait drôle que le spectre le suive jusqu’au Kenya. »
Seul bémol : une fois la lecture bien entamée et la première centaine de pages passée, nous nous y perdons. Trop de personnages et trop d’intrigues s’emmêlent et, malheureusement, nous emmêlent aussi. Nous ne savons plus où donner de la tête. Entre le fantôme d’une jeune bergère qui déplace les vêtements du héros et le fait creuser dans son histoire personnelle, son idylle, les conflits d’une proche avec un gangster qui se trouve être un vieil ami de la famille, sa quête vers son passé alimentée par ce fantôme, ses lectures et ce vieil ami douteux, nous ne savons plus où porter notre attention. Dommage… Mais n’en tenons pas compte. Ces légers égarements ne ternissent pas l'éclat de cette réussite.
En somme, à part un léger imbroglio, Lisière fantôme est une œuvre qui séduit par son mélange habile de mystère, de réalisme et d’occultisme. Voici une œuvre captivante, qui séduira les amateurs de mystère et d’histoires de fantômes.