Love Lies Bleeding de Rose Glass
Le thriller d'amour lesbien qui envoie du lourd
Mais comment le cinéma a-t-il pu survivre sans Love Lies Bleeding, réalisé par la talentueuse réalisatrice britannique Rose Glass ? Contenues dans un flashback américain « so Eighties », Kristen Stewart et Katy O'Brian se lient pour mieux se déchaîner. Main dans la main, elles crèvent l’écran et le patriarcat.
Alors que Lou (Kristen Stewart) semble condamnée à déboucher les toilettes d’une salle de musculation au beau milieu d’un bled américain rance, Jackie (Katy O’Brian) poursuit son rêve de future culturiste primée à Hollywood. Badaboum, leurs regards se croisent. Pas la peine de poser la question à Cupidon : c’est le coup de foudre premium. Elles emménagent ensemble en moins de 24 heures, après une seringue de stéroïdes plantée dans la fesse de Jackie, et un coup de poing anti-macho bien envoyé.
Si leur romance taquine la communauté lesbienne en nous présentant une histoire d’amour clichée qui démarre au quart de tour, elle n’en est pas moins criante de vérité. En effet, les scènes d’intimité révèlent la passion qui les anime l’une pour l’autre et la caméra ne bascule jamais dans le voyeurisme, l’objectification ou la sensualisation gratuite des corps. Au contraire, ces scènes sonnent justes et s’ajoutent naturellement aux multiples moments de complicité partagés, pour le meilleur et pour le pire.
Vengeance deadliftée1
Thriller oblige, les antécédents familiaux de Lou entravent rapidement leur amour idyllique : un père omnipotent et armé jusqu’aux dents, l’absence inexpliquée d’une mère et une sœur engluée dans un cycle de violences conjugales. Au plus Lou ressent de la peine, au plus les muscles de Jackie mutent, façon louve-garou stéroïdée. Ne pouvant plus se contenir, elle finit par décapiter le mari violent à son domicile, sur le coin de la table basse. Si la scène de meurtre est complétement irréaliste, celle-ci n’en est pas moins révolutionaire : œil pour œil, dent pour dent ーadieu le classement sans suite dans Love Lies Bleeding.
Alors que Jackie semble complètement dépassée par sa force, Lou garde les pieds sur terre. Bien entendu, le corps est enroulé dans un tapis pour faciliter son transport, tandis qu’une témoin envahissante grille le couple durant sa mission post mortem. Ce sont précisément ces rouages attendus et propres au thriller qui permettent d’amener subtilement quelques pointes d’humour, appuyées par le jeu fin de Kristen Stewart.
Serial killeuses
Le père de Lou, caricature cringe du baron local pro-arme, se mêle à cette histoire de meurtre afin d’éviter que la police ne remonte à ses crimes passés. S'ensuit un bain de sang décomplexé, où les justicières commencent à se transformer malgré elles en serial killeuses. Si les figures masculines en prennent pour leur grade dans Love Lies Bleeding, les femmes sont loin d’être épargnées. L’emprise générée par les violences conjugales est poussée volontairement à l’extrême, pour démontrer l’attachement irrationnel de la victime à son bourreau. ATTENTION SPOILER : Quant à la témoin éliminée par effet domino, elle n’est autre que la harceleuse sexuelle de Lou…
SPOILER : La romance incarnée par les deux héroïnes n’échappe pas non plus à la critique grinçante. Au nom de la surprotection toxique, Jackie s’étouffe dans la violence, tandis que Lou bascule dans le contrôle. Résultat des courses : l’entourage de Lou est tué. Pour couvrir le meurtre de sa partenaire, elle ira même jusqu’à empêcher Jackie de poursuivre sa gloire hollywoodienne, en tentant de l’enfermer à double tour « pour son bien ». Le trophée tant espéré est finalement remplacé par un vomi monumental dû à la surconsommation de substances, laissant le jury du concours haltérophile bouche bée.
Multi-tâcles
Simple en apparence, le scénario promet finalement une satire subtile des États-Unis et de ses extrêmes. S’il est rare et subversif de découvrir à l’écran une héroïne gonflée par la détermination et la puissance musculaire, les travers du culturisme finissent par flirter avec l’emphase gore.
Avant d’atteindre un tel climax, la caméra s’est attardée sur les corps à l’effort dans la salle de sport, avec des zoom intimistes. Les gouttes de sueur perlent au milieu des mantras fitness du type « ce qui ne tue pas te rend plus fort » et « no pain, no gain ». Entre fascination et sarcasme, tous les codes cinématographiques à l’américaine sont cochés : le club de tir, le diner, les rednecks, la poursuite du rêve américain à Hollywood… Pourtant la réalisatrice Rose Glass parvient à se surpasser, et évite avec finesse la morale et/ou la glorification habituellement réservée aux thématiques inscrites dans son long métrage.
Subversion iconique
Quant au trope de la femme forte qui prédomine Love Lies Bleeding, il est sublimé par la sensiblité et les personnalités complexes de ces deux héroïnes. Lou s’embourbe dans son passé encombrant, tandis que Jackie se prend les pieds dans ses rêves haut en couleur. Plus qu’un reboot prometteur pour le cinéma queer et américain, ce thriller amoureux représente avant tout une ode à la loyauté féminine.
Déjà explorée de manière plus extrême dans son premier film d’horreur psychologique Saint Maud (2019), Rose Glass avait opté pour un scénario moins glamour mais tout aussi fascinant : une infirmière à domicile très croyante fermement décidée à sauver l’âme de sa patiente, Amanda. Cinq ans plus tard, la réalisatrice britannique marque au fer rouge le festival américain de films indépendants Sundance avec son iconique création vengeresse, Love Lies Bleeding.
Cette pépite survoltée, produite par le studio A24, ouvre des horizons sanglantes neuves à l’avenir du thriller lesbien. D’un point de vue esthétique, la cavale americana exaltante laisse progressivement place à des scènes surréalistes audacieuses, dignes de nos rêves les plus sombres et symboliques. Quoi qu’il en soit grâce à Love Lies Bleeding, la relève de l’inoubliable road movie féministe Thelma et Louise (1991) est assurée… Plus passionnée, cinglante et queer, que jamais !