critique &
création culturelle

Malu à contre-vent de Clarence Angles Sabin

Une résistance face aux intempéries de la vie

Malu à contre-vent est le premier roman de la jeune autrice Clarence Angles Sabin. Descendante d’agriculteur·ices, elle dépeint dans une ambiance grisonnante et tempétueuse le quotidien parfois tendre, parfois banal et souvent turbulent de la jeune Malu, entourée de son père et de sa grand-mère dans leur ferme familiale, le Bosquet. On y suit sa lutte pour préserver ce que le temps emporte sur son passage.

Le Bosquet, c’est un îlot dans une mer de collines. Sans autre horizon que ces trois sommets qui occupent tout l’espace. Il fallait descendre dans la vallée si on voulait plus de liberté. Le Bosquet était exigu, peu étendu et habité par une seule famille. Trois personnes, comme les collines.

Le centre du monde de la jeune Malu est la ferme familiale qu’on appelle le Bosquet. Elle y vit avec son père, son chien Sola et enfin le pilier principal : sa grand-mère. Lorsque la jeune fille âgée de 12 ans va à l’école, elle se dissocie de la réalité en attendant avec impatience de retourner dans son microcosme, où elle participe aux nombreuses tâches quotidiennes indispensables à sa pérennité.

Elle se déconnectait tous les matins quand le bus venait la chercher devant chez elle. Elle passait ses journées quelque part au fond d’elle-même, bien loin de ce décor quotidien, ce bruit de fond berçant ses rêveries.

Ses camarades avaient été eux aussi engloutis par le gris. De fines ombres grisâtres, grossières, qui oscillaient d’un coin à l’autre de la cour. Elle en oubliait parfois qu’ils étaient réels.

Seulement, le refuge de Malu et tous ces repères sont à présent chamboulés : sa grand-mère perd petit à petit la mémoire et adopte un comportement incongru, les agneaux du troupeau tombent malades et meurent continuellement, ses premières règles arrivent, le climat colérique met le fruit de leur travail à rude épreuve et son père épuisé fait toujours semblant de rien. Alors Malu résiste. Elle veille sur sa grand-mère, elle enterre dignement les agneaux, elle cache ses règles à sa famille, elle répare ce que le climat détruit, elle se met en colère face au mutisme de son père et quand l’angoisse monte, elle se mutile.

Malu pensait à son envie désespérée d’arrêter le temps. Il avait tout emporté sur son passage. Des êtres innocents dès leur premier souffle, la mémoire de sa grand-mère, ses propres souvenirs. C’était peut-être une tentative dérisoire de se cramponner au passé. En creusant de ses propres mains, elle s’était accrochée à la vie qui lui échappait, et maintenant il ne restait plus rien.

Malu à contre-vent évoque une forme de lutte face au temps qui passe et les intempéries de la vie dans un monde agricole en souffrance. Cependant, dans cette dureté il y a des petites bulles de tendresse : une vue imprenable en haut d’une colline, des chansons fredonnées dans la voiture avec son père, une solidarité entre voisins, les histoires racontées par sa grand-mère…

Malu s’asseyait sur les piles de caisses de pommes de terre et l’écoutait. Elle aurait pu continuer pendant des heures, des jours, des semaines. Sa grand-mère avait un don pour les histoires. Sa voix empruntait une tonalité douce et suave. Une caresse pour les oreilles. Ses personnages avaient toujours été fantasques et complètement imaginés. Quand, à l’inverse, elle parlait d’elle, elle était évasive et fermait très rapidement la parenthèse. Mais dans la pénombre de la cave, elle se livrait à cœur ouvert. Elle ne se cachait plus derrière l’irréel. La cave était une toile blanche qui pouvait les transporter dans n’importe quel lieu. Et Malu voyageait avec sa grand-mère dans le passé.

Clarence Angles Sabin décrit des faits très durs, comme l’automutilation ou la précarité du milieu agricole, mais son écriture ne prend pas une tonalité tragique et insoutenable. Elle est plutôt factuelle et descriptive, comme une constatation. L’histoire est racontée au passé et d’un point de vue externe qui décrit précisément les sensations vives et les ruminations de Malu tout en instaurant une certaine distance. Les moments forts et émouvants apparaissent au milieu de scènes de la vie quotidienne, un peu banales et parfois lentes, ainsi que des nombreuses réflexions de Malu. Un moment de doute et de confusion est possible avant de comprendre où l’autrice veut en venir et ce qu’elle souhaite aborder à travers son roman.

Un équilibre est maintenu tout au long de l’ouvrage entre l’évocation d’une douceur de vivre, de l'amour et de l’attachement qu’on peut avoir à un lieu ou à notre famille, et l’évocation de la dure réalité et des épreuves de la vie avec lesquelles ont doit évoluer. Cependant cet équilibre se fracture à la toute fin qui pourrait être perçue comme violente et laisser certain·es lecteur·ices comme moi sur leur faim.

Dans Malu à contre-vent, c’est le quotidien et les péripéties d’une famille qui sont relatés de manière sobre, sans effets grandioses et sans prétention mais dans une atmosphère unique et originale, à la fois douce et rude, au milieu des collines.

Même rédacteur·ice :

Malu à contre-vent

de Clarence Angles Sabin
Le Nouvel Attila, 2025
186 pages

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