Mary Queen of Scots , sorti fin 2018, est le premier film de l’Anglaise Josie Rourke, directrice artistique et metteuse en scène dans le monde du théâtre. Ce drame historique, basé sur la biographie écrite par John Guy, nous plonge dans une période bien précise de l’histoire britannique : le règne simultané de Mary Stuart sur l’Écosse et d’Elizabeth I re sur l’Angleterre, au XVI e siècle.
Mary Stuart (Saoirse Ronan), veuve à dix-huit ans du roi de France François II, revient régner sur son Écosse natale. Elle n’y est pas seulement confrontée aux rivalités diplomatiques avec sa cousine Elizabeth I re (Margot Robbie), reine d’Angleterre, mais aussi aux tensions civiles entre catholiques et protestants et aux nombreuses intrigues politiques des hommes de sa Cour, qui ont du mal à se voir dirigés par une jeune femme. Entre conspirations, meurtres, négociations et amours, le règne de Mary ne durera pas plus de quinze ans.
Il s’agit cependant plus pour moi d’une tragédie que d’un véritable film historique. Deux événements que l’on pense authentiques ont été conservés dont j’ai trouvé l’extrême brutalité profondément choquante. Mis à part cela, la plupart des moments historiques d’action et de violence sont passés sous silence (emprisonnements, combats). D’autres, notamment l’unique scène de bataille, sont simplement survolés. De ce fait, j’ai parfois eu du mal à suivre le rapide enchaînement des événements.
Il faut reconnaître que la réalisatrice, Josie Rourke, utilise surtout ces événements réels pour aborder des questions d’actualité, ce qui est particulièrement plaisant pour une oeuvre cinématographique. La réalisatrice a tout d’abord consciemment inséré de la diversité ethnique dans son casting en choisissant, pour incarner deux figures historiques blanches, un acteur d’origine jamaïquaine et une actrice d’origine asiatique. Le personnage de Mary Stuart se montre pour l’époque incroyablement tolérante envers l’homosexualité et la transsexualité. On pourrait donc la voir comme une précurseuse du mouvement pour les droits LGBT. Ce film dénonce également l’absurdité des guerres de religion, sujet pertinent à notre époque. Le personnage de John Knox, meneur de la Réforme protestante en Écosse, incarne l’opposition religieuse qui considère la catholique Mary comme une menace. Ses discours, tout au long du récit, trahissent le danger des prêches religieux extrémistes : « Un fléau s’abat sur notre pays : une femme couronnée. »
Cette sentence illustre aussi ce que je considère comme le sujet principal de ce film : le féminisme et la dénonciation des violences infligées aux femmes dans notre société patriarcale. Le choix même du sujet du film, résumé dans la bande-annonce par la phrase « Dans un monde de rois, exista une ère où deux reines marquèrent l’Histoire » , dénonce ce que l’on appelle l’invisibilité de l’homme : on caractérise les femmes haut placées par leur genre, mais pas les hommes, car cela semble normal . L’Histoire a en effet connu de nombreuses femmes de pouvoir, mais leur rôle est trop souvent passé sous silence. Un siècle après Mary et Elizabeth, le pouvoir britannique est d’ailleurs à nouveau confié à des mains féminines, celles de Mary II puis de sa sœur Anne Stuart. Cette dernière a récemment fait l’objet d’un film qui aborde également la thématique du pouvoir féminin et tente aussi de reconstituer les personnalités et les émotions des héroïnes. Toutefois, comme Karoo l’expliquait, The Favourite adopte plutôt l’angle de la séduction.
Mary Queen of Scots illustre donc la difficulté d’être une femme de pouvoir dans un milieu patriarcal qui prône la force et la violence, qui considère les femmes comme faibles et incompétentes et qui conspire pour usurper leur place. Ce faisant, il tombe malheureusement dans un des pièges du féminisme : ce long-métrage diabolise quasiment les hommes. Mary implore l’aide d’Elizabeth comme ultime recours contre les conspirations de tous les hommes de son entourage. Cette recherche d’alliance sororale est peu pertinente, car la lutte contre les stéréotypes liés au genre doit être autant masculine que féminine. Elle est également historiquement imprécise : en réalité, Mary Stuart ne voyait sa cousine Elizabeth que comme une rivale et elles ne se sont jamais rencontrées.
La rivalité à distance des deux reines, annoncée au début du film, se transforme du fait de l’absence de confrontation directe. On sent grandir la fascination réciproque des deux cousines, notamment dans leur échange de portraits. Le climax est atteint lors de leur rencontre, marquée par un jeu de voiles qui veut faire monter la tension mais qui tire un peu trop en longueur. Elles se découvrent moins ennemies que sœurs, mais Mary, désespérée, se montre trop arrogante que pour convaincre Elizabeth de lui accorder son aide. Au moment de son exécution, la reine d’Écosse déchue adressera ses derniers vœux à son fils et héritier, Jacques VI. Voilà la politique remise entre des mains masculines…
Elizabeth ne garde en effet sa couronne qu’au prix de sa féminité : elle affirme elle-même que le trône l’a poussée à choisir de devenir « plus homme que femme ». Au début du film, elle arbore un beau teint rosé et les mêmes cheveux roux clair que sa cousine Mary. Au fil de ses apparitions, elle enlaidit progressivement et renonce à toute émotion. Devenue méconnaissable, Elizabeth a définitivement abandonné sa féminité et sa propre personne pour revêtir le masque neutre, insensible et impitoyable de chef d’État.
Son épaisse couche de fond de teint blanc et sa perruque en forme de cœur d’un roux presque rouge m’ont rappelé la reine rouge d’ Alice au pays des merveilles (2010). Le parallèle avec les personnages de Tim Burton se poursuit dans les couleurs : Elizabeth revêt des couleurs chaudes et Mary du bleu, du noir et du blanc. Ce n’est qu’au moment de son exécution qu’elle affichera une robe rouge vif, symbole des martyres. Le film prendrait donc le parti de Mary Stuart, notre gentille Reine Blanche. Elle est d’ailleurs le rôle-titre, au premier plan sur l’affiche, visage éclairé, alors qu’Elizabeth est reléguée à l’arrière-plan, dans son ombre. Incarnée par l’émouvante Saoirse Ronan ( Atonement ; Brooklyn ; Lady Bird ), Mary conserve malgré les années sa fraîche beauté et semble n’être que douceur et courage. Malgré les nombreuses qualités qui lui sont prêtées, on retient cependant surtout son arrogance. On lui préfère donc Elizabeth, plus touchante dans sa complexité et dans les rares moments où elle se laisse aller à ses sentiments. Margot Robbie ( le Loup de Wall Street ; Suicide Squad ; I, Tonya ) a d’ailleurs été nominée pour quatre récompenses de la meilleure actrice dans un second rôle, au contraire de Ronan qui n’a décroché aucune nomination.
Outre la prestation prenante des deux actrices principales, qui n’ont plus rien à prouver, la direction artistique est également très convaincante. La bande originale, parsemée de sonorités écossaises, nous transporte tantôt dans une cavalcade effrénée à travers les Highlands, tantôt dans la tension des intrigues de cour. Elle a d’ailleurs valu à son compositeur, Max Richter ( Valse avec Bachir ; The Leftovers ; Black Mirror ), le Best Original Score des Hollywood Music in Media Awards. Les décors et paysages sont magnifiques, tout comme les costumes, coiffures et maquillages qui, porteurs de sens, ont été nominés pour plusieurs récompenses. Les plans, généralement serrés, soulignent l’emphase mise non pas sur la grandeur de l’Histoire, mais sur la personnalité des héroïnes et leurs émotions intimes. On voit par exemple Elizabeth regarder vers l’extérieur à travers les losanges d’une vitre de son vaste et lumineux palais, et Mary espionner sa sombre et oppressante salle du conseil par la fente de la porte. Même sans connaître l’Histoire, on devine laquelle est bien installée sur son trône – sans pour autant s’y épanouir – , et laquelle devra l’abandonner aux conspirateurs…
Mary Queen of Scots enrobe donc quelques événements historiques d’une intrigue dramatique hollywoodienne, certes peu surprenante, mais riche en émotions et très bien mise en images et en sons. De ce fait, ce film s’adresse davantage aux amateurs de tragédie qu’aux passionnés d’authenticité. L’Histoire n’apparaît ici que comme un prétexte pour susciter la réflexion sur d’importantes problématiques d’actualité.