Max Lapiower
Comme un écho a utour de l’expo de Max Lapiower consacrée à son grand-père, Ignace, dans le cadre du Parcours d’Artistes, au 61 rue de la Victoire à Saint-Gilles. À voir jusqu’au 3 juin 2018 !
Des portraits de famille : sa sœur, sa mère, son père, ses cousins et cousines… flottent sur le mur, à gauche de la porte d’entrée. Visages solitaires figés dans le temps. Une oblique relie le petit-fils représenté côté rue, entre deux fenêtres, à son papy qui repose de l’autre côté de la pièce. D’une part, un autoportrait tout en longueur, vertical à souhait, presque filiforme. De l’autre, une silhouette petite et menue, proche de la disparition.
On se croirait arrivé dans la chambre secrète d’un château abandonné : des hommes vécurent sans doute ici, voilà les images qui nous en restent… Humour rétrospectif d’un avenir non-encore advenu. Un tapis persan acheté aux puces ne demande qu’à s’envoler vers ce pays de contes et de légendes où bruissent les aventures de cette galerie de personnages plus ou moins mythiques. Max pense avec les mains. Son trait creuse les expressions dans la surface du papier, des visages surgissent de cette poussée opaque, les cernes, les plis donnent une densité sombre et chaude aux traces laissées par l’histoire. Sa patte ne fait pas l’ombre d’un doute.
Dans le même salon de ce château hanté par les vivants portraits dont les fantômes planent encore dans les couloirs de l’UPJB1 , l’âme d’un autre personnage qui rôde, celle d’Ignace. Est-ce un cadavre déjà ? Non, il a encore sur les lèvres un sourire tendre. Sa malice n’a rien perdu de sa jeunesse. On entendrait presque le timbre de sa voix, cet accent inimitable qui était le sien. Si nous parvenions à écouter suffisamment fort, on l’entendrait dire « Maaax », comme seul lui pouvait l’appeler, en yiddish. Ignace est couché, il rêve… il attend. Peut-être qu’il lit ? Le Monde d’hier 2 traîne sans explication sur un fauteuil vert, il arrive même que les pages tournent toutes seules. Il médite probablement sur ce paradoxe qu’il n’a de cesse de retourner dans tous les sens : « Il apparut assez rapidement que le chemin hors du ghetto était bordé de dangers indéfinis, tandis que le chemin de retour était barré. » Comme une vieille blague juive dont il aurait enfin saisi la clé.
Aux murs, des proverbes flamands parlent de pommes et de poires, d’arbres et de fruits, comme un guide anversois des égarés. Il y a aussi une citation d’Érasme tirée de l ’Éloge de la folie à propos de la ressemblance qui unit les très jeunes personnes aux personnes âgées. Car seuls les enfants et les vieux connaissent le secret du présent. Seuls ils savent que ceci n’est pas cela, pour la simple et bonne raison que cela n’est rien, mais quand même…
Max est un artiste. C’est-à-dire qu’il habite ce point où la mort et la vie se confondent dans un regard singulier. C’est ce qu’on appelle devenir ponctuel. Max Lapiower a donc trouvé son temps et c’est une grande nouvelle ! Il sent d’instinct ce lieu exact où la rencontre opère : quelque part aux commissures des lèvres, au coin des yeux, ou dans cet angle particulier que fait le menton avec le cou. Dans cette région profonde où se révèle soudain une physionomie. Entre fossile et caricature, cendre et dynamite, une signature s’exerce au fusain.
Parfois, de la musique sort de la chaîne hi-fi, une chanson résonne doucement, emportant avec elle les menus propos échangés devant les dessins vers l’espace sans yeux, peuplé de fenêtres où tout est illuminé. Alors, les portraits nous dévisagent. Ils prennent cet air d’importance que leur confère la mémoire, cette généalogie physique et frémissante qui traverse les apparences. Là, sur ce théâtre étrange où se miment l’absurdité des rôles, où se redoublent les récits pour les conjurer et les célébrer tour à tour, nos pensées les rejoignent dans une ronde joyeuse qui est, peut-être, celle des esprits… Alors, tous les costumes, tous les déguisements s’élèvent un à un de la malle aux trésors pour revêtir nos songes éveillés. Et le rire qui éclate au loin, de très loin avant nous provient sûrement de cette Pologne dont nous ne sommes jamais partis et qui nous ouvrira ses bras tout en haut de l’escalier.