Maxime Van Muylder (MVM)
MVM livre un art pleinement en phase avec une époque confrontée à la question de l’environnement, naturel et urbain. Son art dépeint avec élégance, humanisme et poésie autant le micro (portraits végétalisés ) que le macro (paysages), dans le souci de réconcilier l’humain et la nature.
À découvrir dans la galerie Karoo : MVM
Il exposera une partie de son travail les 19 et 20 avril au centre Tour à Plomb à Bruxelles, lors d’un événement organisé par É patant x Résidences . Rencontre.
Votre travail comporte au moins trois types de compositions distincts : des portraits, des paysages et des illusions d’optique. En quoi se complètent-ils ?
Le portrait, en tant que représentation d’un individu, permet de donner un visage humain et personnalisé à la nature en incorporant celle-ci en lui. À l’inverse, le paysage permet d’incorporer l’humain dans le végétal et l’urbain. Les œuvres basées sur un jeu visuel visent, elles, à interroger et à explorer l’acte de voir lui-même.
En fait, j’ai commencé mon travail avec des paysages et des illusions d’optique, avant de basculer dans l’humain et de l’intégrer de la manière la plus harmonieuse et naturelle possible dans le monde. L’idée n’est pas de juxtaposer ces deux éléments, mais de les fusionner, au point de semer la confusion : que voit-on dans telle œuvre ? Un humain-ville, une ville-humain ? L’humain prend-il possession de l’environnement urbain ou est-ce l’inverse ? La même logique se retrouve dans certains de mes paysages strictement naturels, qui montrent une végétation anthropomorphe (par exemple des branches d’arbres évoquant des bras, des mains).
Sur le plan technique, y a-t-il une même méthode derrière la diversité des créations ?
Oui, le dénominateur commun est la photographie. Je pars toujours d’une photo personnelle, que j’associe ensuite avec d’autres éléments repris dans ma base de données. Désormais, j’ancre la plupart du temps mes œuvres dans le photo-portrait d’un modèle humain.
Retouchez-vous les photos avant de les assembler ou bien, au contraire, préférez-vous les conserver dans leur version naturelle et pure ?
Je ne les modifie jamais intrinsèquement. Certains me prennent pour un photographe mais, en réalité, je n’aborde pas la photo de manière photographique (en cherchant la meilleure lumière, les meilleures couleurs, le meilleur cadrage). Je veux avant tout saisir le sujet de la photo pour le faire entrer en résonance avec d’autres images. Mon art réside davantage dans l’usage que je fais de la photo que dans la photo elle-même. Chez moi, la photo est un support de travail, pas un travail en soi. D’ailleurs, au moment de prendre une photo, d’un défilé de voitures en plein centre-ville par exemple, j’agis de manière instinctive, sans contrôler tous les paramètres esthétiques et sans savoir ce que j’en ferai ultérieurement. L’essentiel consiste à capter un instant, une image intéressante qui dit quelque chose.
L’art numérique permet de recréer à l’infini une même œuvre. Vous arrive-t-il de modifier d’anciennes œuvres ? Et à quel moment estimez-vous qu’une œuvre est finie ?
Je mets à profit ces possibilités technologiques en déclinant des œuvres en plusieurs versions en fonction du contexte et du public : Instagram et les réseaux sociaux, exposition dans une galerie ou un musée (exemple : Espace Vanderborght).
La recréation occupe une part importante au sein de mon travail de création. Il faut parfois observer un arrêt, une période de digestion et prendre du recul pour trouver le meilleur sens à donner à une image.
Le gain de contrôle lié à la technologie ne conduit-il pas à la perte d’une dimension de spontanéité et de vie propre à l’œuvre ? À quel point peut-elle encore dépasser/échapper à son auteur ?
Effectivement, l’art numérique aboutit parfois à la perte d’un élément essentiel de l’art : l’accident. Raison pour laquelle je m’efforce de restituer cette part de hasard et de lâcher-prise de deux manières. D’une part, je veille à ne pas trop contrôler la manière dont je prends mes photos, pour conserver une forme de spontanéité. D’autre part, dans le cas du portrait d’une personne réelle, je la laisse co-construire l’œuvre, au sens où l’œuvre reflétera en partie ce que l’individu me donnera à voir de lui-même (les informations qu’il communique, verbalement ou à travers le langage corporel). Je ne suis pas un directeur d’acteurs. Au contraire, c’est justement le modèle humain qui va guider mon geste artistique. La disposition du corps et du visage orientera le résultat final. Le portrait physique n’est qu’une étape menant à un portrait de l’âme, en fonction de l’état d’esprit de la personne dans le vif du moment. Certains m’ont déjà dit que je parvenais à révéler quelque chose qui était en eux.
L’œuvre dépasse aussi l’auteur grâce à la perception du public. Je mets un point d’honneur à être présent lors d’une exposition afin d’enrichir mon regard grâce à celui des spectateurs. À titre d’exemple, l’une de mes œuvres (un immeuble surgissant d’un visage), censée montrer une harmonie humain-nature, a été interprétée par plusieurs personnes comme l’expression d’une violence (tsunami emportant la société humaine, attentats du 11 septembre).
Avant de me tourner vers l’art numérique, je faisais de la peinture, un art propice au surgissement de l’inattendu, de l’involontaire et de l’accidentel. D’où la décision de certains artistes, à la confluence de l’art numérique et de la peinture, de repeindre leur œuvre graphique une fois terminée ! De mon côté, je m’inspire de mon expérience dans la peinture non pas en peignant à proprement parler, mais en favorisant la dimension organique et vivante de mes œuvres (les couleurs, le mouvement). La peinture m’a également permis de développer ma sensibilité par rapport au corps humain. À terme, j’aimerais aussi travailler d’autres parties, comme les mains ou le cou, et positions (de dos et pas seulement de profil) du corps.
Si vous cherchez à réconcilier l’humain et la nature, c’est que ces deux éléments sont aussi séparés. À quel point l’humain a-t-il perdu son lien avec la nature ?
L’humain s’est construit en s’éloignant de la nature mais il y revient de manière détournée. En créant un environnement artificiel, urbain, l’humain a créé une sorte de seconde nature, c’est-à-dire un environnement de vie qui le dépasse et détermine ses conditions d’existence. La création de l’homme s’est néanmoins retournée contre lui, dans le cas du réchauffement climatique, par exemple. D’où un paradoxe dans l’environnement urbain : il a été façonné par l’humain mais se révèle souvent déshumanisé (froideur des immeubles, de la route, nocivité de l’air pollué, etc.). L’humain domine-t-il la nature et le monde ou est-ce l’inverse ? L’humain doit comprendre que, pour ne pas finir totalement dominé par la nature, il doit lui-même cesser de vouloir la dominer. Une domination nourrit l’autre. C’est pourquoi mon art s’attache à humaniser l’urbain et le végétal, ainsi qu’à réinventer le lien entre l’humain et son environnement.
Quel est le but de l’art ? Réconcilier ce que la société humaine, occidentale en particulier, a séparé (les binaires du type nature vs culture, corps vs esprit) ?
Pour moi, l’art doit idéalement remplir trois caractéristiques : être réconciliateur (créer du lien et de l’unité entre les choses), concret et universel. Quant à sa finalité ultime, je la situe dans l’éveil des consciences et l’élargissement de l’horizon de la pensée. Pas au sens de transmettre un message mais bien de représenter et de dire quelque chose qui a du sens. Je vois l’art comme un moyen de tendre à l’humain un miroir de sa propre société tout en dépassant la portée de simple reflet.
Personnellement, j’aime combiner des éléments difficilement conciliables en apparence (immeuble, béton et végétal ; animé et inanimé). Je cherche aussi à unir le spectateur à l’œuvre d’art en la rendant concrète et universelle. D’une part, mes œuvres tirent leur dimension concrète de leur base photographique commune (en tant que représentation directe et objective du réel) et, parce qu’elles renvoient le spectateur à lui-même, à son vécu subjectif, à son intériorité, il peut alors s’identifier à elle et se l’approprier. D’autre part, en ce qui concerne leur caractère universel, j’essaye de les ancrer dans des enjeux intemporels (exemple : la place de l’humain dans le monde et la nature).
Enfin, la conception de l’art est intimement liée à la question de la place de l’artiste. Une dame m’a un jour interpellé lors d’une exposition. Elle réalisait un travail sur le peintre Basquiat. Quand, soudain, elle m’annonce : « Je dois le comparer à un autre artiste. En fait, j’hésite pour le choix de l’artiste entre Picasso et vous ! » De son point de vue de spectatrice, toute personne qui expose une œuvre est un vrai artiste, peu importe qu’il soit débutant ou accompli. En ce sens, ce n’est pas l’artiste qui fait l’œuvre mais l’œuvre qui fait l’artiste.