Memories of Murder de Bong Joon-ho
Incontournable thriller coréen

En 2003, Bong Joon-ho (Parasite) réalisait son premier thriller qui allait devenir un classique du genre : Memories of Murder relate les faits sordides qui traumatisèrent la campagne coréenne dans les années 1980-90. Trois policiers chargés de l’enquête vont tenter le tout pour le tout afin de faire cesser les crimes, allant parfois jusqu’à faire le pire.
En 1986, un premier cadavre de femme est retrouvé pieds et mains liées avec ses propres sous-vêtements après avoir été violée. Face à ce crime, le détective de la police locale, Park Doo-man (Song Kang-ho, le chouchou du réalisateur) et son associé Kim Roe-ha, aux méthodes plus que brutales, prennent les choses en main. Un troisième membre rejoint l’équipe, Seo Tae-yoon, un détective qualifié venu de Séoul. Ces trois protagonistes s'engagent alors dans ce qui va devenir leur pire cauchemar et leur plus grande obsession pendant pas moins de sept ans.
Aussitôt que le film commence, on s’attend à être plongé dans un discours critique à l’encontre du système policier, tant l’enquête est menée n’importe comment (en particulier par les deux officiers locaux). On parle ici de maltraitance voire de torture de certains suspects, de la création de fausses preuves, de déclaration de culpabilité à tout va sur base d’hypothèses hasardeuses… Bref, lorsque Seo Tae-yoon débarque de la capitale, c'est un réel soulagement pour les spectateurs tellement on méprise les deux autres. C’est là que se trouve une des grandes forces de ce film : l’écriture des personnages. Chaque policier fait office de caricature du système, en partant du bébête ultra-violent, de celui qui ne fonctionne qu’à l’instinct, pour finir avec le seul étant honnête et qualifié. Pourtant on ne mesure pas les jugements que l’on pose sur chacun d'eux jusqu’à ce que la situation se renverse. L’intensité de jeu de chaque acteur change complètement la vision initiale que l’on a des membres de l’équipe sans même que le spectateur ne s’en rende compte. Il y a des films pendant lesquels on sent que l’évolution des personnages est grossière et pas naturelle mais ici le scénario l’amène tellement subtilement que l’on ne peut s’empêcher d’y adhérer. Memories of murder, en plus de dépeindre la réalité des faits, questionne sans cesse la moralité et nous livre une représentation absolument humaine de la psychologie changeante des policiers, malmenée par la gravité de l’affaire et l’impuissance face à l’irrésolution des crimes.

Grâce à une colorimétrie très sombre tout du long, Memories of Murder nous plonge dans la terreur et la frustration ressenties par les protagonistes. Seule la couleur rouge ponctue ces plans sombres, symbole de mauvais présages. Tout comme la pluie lourde qui s’abat le soir de chaque meurtre qui ne fait qu’accentuer cette pesanteur et cet abattement qui s’empare des personnages. Cette ambiance morne n’a pas empêché le réalisateur de nous fournir de très beaux plans emplis de poésie dramatique guidant chaque étape de cette enquête.
Ce qui place ce film dans la catégorie des thrillers incontournables réside sans aucun doute dans le manque d'informations que le réalisateur possédait au moment de sa réalisation. Lorsque Bong Joon-ho se lance dans ce projet, 16 ans séparent le réalisateur et le reste du monde de la découverte du meurtrier, qui ne dévoila qu’en 2019 être l’auteur des crimes. Réussir à conter cette histoire sans avoir la résolution de l’enquête en parvenant à contenter ses spectateurs est absolument magistral. Bong Joon-ho s’est passé d’une fin fictive et facile pour compléter les éléments manquants en nous délivrant de ce fait une scène finale qui aura marqué le cinéma du début du XXIe siècle.

Avec ce chef-d'œuvre comme troisième film de sa filmographie, Bong Joon-ho n'a pas attendu de réaliser Parasite pour démontrer que c’est l’un des grands de sa génération.