Momm de Catherin
La belle triste poire d’un amour maternel

De petites larmes ruissellent le long de nos joues pendant la lecture de Momm. Tendresse ? Attachement ? Tristesse ? On a du mal à déterminer quelle émotion Catherin fait couler en nous avec ce roman graphique autobiographique. Chaque page se dévore comme si c’était la dernière, à l’image de l’intensité d’une relation fille-mère que la maladie rend si particulière.
Quelle couverture guillerette ! Les couleurs, les traits de crayon, le joli lit d’hôpital, les petites abeilles infirmières… Attendez un petit peu, ai-je mal capté le message ? Catherin nous livre pourtant tous les indices dès la couverture de Momm. Si j’avais su… je l’aurais encore plus vite lu ! Grande consommatrice des cocktails d’émotions, je ne jure (presque) que par les récits difficiles contés par des personnages mignons. Si vous vous reconnaissez dans cette dernière phrase, suivez-moi et serrez votre doudou très fort dans vos bras.
Momm est un récit autobiographique écrit et illustré par Catherin. Elle y raconte sa relation avec sa maman, atteinte d’une maladie dont on ne guérit pas. L’autrice nous partage leurs aventures dignes de montagnes russes dont on ne descend pas, ainsi que ses péripéties de jeune adulte auxquelles personne n’échappe.
Dès le départ, l’univers est planté. Catherin se présente sous le nom et l’apparence de « Touffe ». Dans son monde, chacun a le droit à la parole : les humains, les animaux et même les puces qui profitent de la bonté des deux précédents. Montréal s’est transformée en Boréal et la maladie de Momm est symbolisée par une fleur qui pousse dans son ventre et étend ses racines. Je ne peux alors m’empêcher de penser à l’album de Pef La belle lisse poire du prince de Motordu qui a bercé toute mon enfance avec ses jeux de mots cocasses et son univers parfaitement farfelu. Sous cette fine et coquette couche joyeuse, il ne faut pas gratter longtemps avant de découvrir la dure réalité de la vie de Touffe. Au menu : son pénible boulot dans un hôtel, les visites au « Centre de la Mornitude » dont le nom indique fortement l’ambiance qui y règne, et le peu de temps qu’il lui reste, juste pour elle.

Le personnage de Momm se dévoile petit à petit. On la découvre réellement lorsqu’elle change de résidence pour se rendre au « Centre du Milieu ». C’est également à ce moment-là que la relation mère-fille se développe. Chacune d’entre elles s’applique à rendre chaque moment passé ensemble le plus doux et gai possible. Catherin nous immisce dans leur quotidien et décrit plusieurs de leurs habitudes avec une tendresse inouïe. On a l’impression de nourrir les écureuils avec elles ou encore d’avoir une petite place sur le lit pour regarder « Un dîner presque mauvais ». Ces instants, on les vit comme des parenthèses de bonheur, juste assez de baume pour s’en mettre un peu sur le cœur avant d’affronter à nouveau la réalité de la maladie. C’est dans cette ambiance douce-amère qu’on évolue tout au long du récit avec des dessins ronds au crayon gris qui nous rappellent les cercles qu’on formait pour remplacer les points sur nos « i ».
Si Momm aborde essentiellement une relation mère-fille, il est également pensé et écrit du point de vue de Touffe. On se retrouve à de nombreuses reprises seul·e·s avec elle. Elle en profite alors pour nous partager ses craintes. La peur que Momm souffre beaucoup lors de ses derniers instants de vie et celle de ne pas être présente pour lui dire au revoir étant ses principales sources d’angoisses.
« Chaque fois que j’allais à Bouetteville pour voir Momm,
je craignais toujours que ce soit la dernière fois.
Je savais que cette dernière fois se rapprochait de plus en plus.
Chaque occasion que j’avais de formuler un souhait, je demandais toujours qu’elle parte de la meilleure façon possible. »
On observe également à travers ses yeux l'état de santé de Momm et les « petits deuils à faire » qui se multiplient avec le temps. Une thématique revient par ailleurs tout au long de l’histoire, celle de la nourriture : Momm adore manger et elle en parle souvent. Son corps malade n’est pas spécialement du même avis et va lui faire payer sa gourmandise à de nombreuses reprises. Ne plus marcher, ne plus soulever, elle arrive à l’accepter. C’est au moment de faire un trait sur la nourriture solide que son monde semble s’arrêter.

Tous les événements liés à la maladie de Momm sont racontés de manière très réaliste. Même si l’univers installé dès le départ reste le même avec des petites abeilles pour infirmières et des voitures avec des visages et des yeux, Catherin utilise des mots crus, en accord avec les situations. Ça parle de caca, de mort, de vomi et de toutes ces choses qui composent la vraie vie.
Au fur et à mesure des pages, la vie de Touffe prend de plus en plus de place. Elle déménage à « Boréal », rencontre des gens et dessine souvent. Elle commence à vivre la vie dont elle rêvait. Elle continue à voir Momm, évidemment. On peut même dire qu’elle la suit partout et que Touffe aimerait pouvoir profiter de chaque instant de sa nouvelle vie en compagnie de sa maman. Une série d’événements urgents viennent cependant ponctuer son quotidien et lui rappeler qu’il s’agit bien des derniers instants. Catherin doit, elle aussi, faire des petits deuils et accepter le fait qu’elle va bientôt perdre sa maman. Ce n’est qu’une question de temps.
J’aimerais vous dire qu’à la fin, un miracle survient. Momm avale un cupcake magique et tout est bien qui finit bien. Vous vous doutez cependant certainement de l’issue, la seule, l’unique, celle qu’on connaît depuis le début. Catherin ne nous réserve pas de surprise et c’est sûrement mieux ainsi. Mieux pour celles et ceux qui l’ont vécu ou le vivront, pour s’identifier et réussir à faire son deuil, à sa façon. Les mamans nous apprennent, sans qu’on s’en rende compte, à vivre sans elle. Ne serait-ce pas là un super-pouvoir (de) mortel ?