critique &
création culturelle

Collections de Victoire de Changy et Fanny Dreyer

 Une chasse aux trésors du quotidien

Collections nous emmène à la découverte d’enfants et de leur jardin secret ; des enfants qui partent à la chasse aux objets du quotidien et les transforment en trésors. Sous la plume de Victoire de Changy et le crayon de Fanny Dreyer, les souvenirs naissent et ne s’éteignent jamais. Un album jeunesse pour petits et grands collectionneurs.

Rangé dans les nouveautés du rayon enfant, Collections a attiré mon regard. Un titre et des illustrations poétiques aux tons rose-mauve-orange sur la couverture qui ont immédiatement fait travailler mon imagination. Je l’ai pris sous mon bras et ne l’ai pas ouvert avant d’arriver chez moi, comme un trésor que l’on décide de découvrir en lieu sûr.

Collections nous présente sept histoires. Sept histoires comme les sept jours de la semaine et comme les sept enfants qui s’adonnent à la chasse aux petits trésors. Tout commence le lundi avec les souvenirs d’automne d’Omar et se termine le dimanche avec les galets de Lucien. Dans ce semainier du petit collectionneur, on croise aussi Cléo, Lise, Suzanne, Pio et Louise. À chaque fois que l’un d’entre eux trouve un objet à ajouter à sa collection, « son cœur bat si fort qu’il fait trembloter tout son corps ». Chaque personnage et ses objets fétiches nous sont présentés de manière indépendante, comme si on nous donnait accès à plusieurs jardins secrets. Victoire de Changy et Fanny Dreyer nous font cependant comprendre que tous ces enfants font partie d’une seule et même ronde. La poésie des mots de l’autrice reste en effet identique au fil des histoires, nous permettant de considérer l’ensemble des textes comme un tout et créant une réelle fluidité de lecture. Les illustrations de Fanny Dreyer renforcent quant à elles cette harmonie et nous invitent à lire le livre comme un carnet de souvenirs ou un journal intime entremêlé de collages et de dessins aux paysages vastes et reposants.

 

Si Collections parle d’enfance, il parle aussi et surtout de famille. Les parents et grands-parents sont en effet bien souvent des acteurs des collections de leurs enfants/petits-enfants. Ils aident, initient, provoquent cette passion de l’accumulation des objets précieux. Pour Cléo, ce sont les mains. Sa grand-mère a commencé par déposer l’empreinte de sa main d’enfant sur une étagère vide de la bibliothèque du salon. Elle a fait ça aussi pour sa fille, la maman de Cléo.

Elle s’est dit : ma fille aura toujours besoin de mains.
Elle s’est dit : des mains qui soulèvent, des mains qui caressent les joues, des mains qui tressent les cheveux, des mains qui écrivent des cartes postales.

Elle s’est dit : des mains qui soignent, des mains qui savonnent, des mains qui portent le gros cartable.
Elle s’est dit : des mains qui tiennent ses mains.
Elle s’est dit : un jour, mes mains à moi ne seront plus là.

Au fur et à mesure des années et des générations, les mains se sont multipliées. Main en bois articulée, main en métal martelé, gravure de main... Ce sera bientôt au tour de Cléo de déposer des mains sur l’étagère du salon si elle en a envie, pour perpétuer la tradition. Elle deviendra peut-être elle aussi maman un jour et la collection reviendra à son enfant.

Le livre explore ainsi la volonté de laisser une trace. Si l’on collectionne c’est que l’on veut se souvenir. C’est un moyen rassurant de pouvoir se rendre compte à tout moment que ce qu’on a vécu a existé. La collection est comme un témoin de vie pour les autres et pour soi. Lorsque Pio cueille une nouvelle fleur qui croise son chemin, qu’il la place dans un dictionnaire pour la faire sécher et puis qu’il la colle dans son carnet beige en indiquant son nom, il crée une preuve et un souvenir de son jardin imaginaire. Il peut rouvrir son carnet quand il veut, les fleurs seront toujours là. Elles prouvent à Pio qu’il a réussi à créer son jardin.

L’histoire de Pio, comme celle des autres enfants, est racontée avec énormément de poésie. Les mots de Victoire de Changy s’enchaînent pour former une douce et paisible chorégraphie. Parfois ça rime, parfois pas. 

 Pio n'a pas de jardin.
À cinq ans, il a eu très envie d'en avoir un.
Ça lui a poussé dans la tête comme de la menthe.
La menthe, quand on la plante, grandit et se multiplie.
C'est exactement pareil avec l'envie.
Pio pensait que le jardin, c'était une question d'âge.
Qu'il suffisait d'être moins petit, ou disons plus grand.
Il en a demandé un pour ses sept ans.
Mais rien !
Il en a demandé un pour ses huit ans, mais rien !
Alors quand il a eu neuf ans, Pio a pris les choses en main.

Les récits sont plutôt courts et laissent beaucoup de place aux illustrations de Fanny Dreyer dont la palette de couleurs est assez étendue puisqu’elle varie et dépend de l’histoire dans laquelle on se trouve. Une impression de chaleur et de rêverie se dégage néanmoins de l’ensemble de l'œuvre et renforce la sensation d’intégrer une bulle ou un jardin secret dans lequel chaque enfant a décidé de nous laisser rentrer. Collections c’est un peu comme un carnet de souvenirs dans lequel se répète un petit schéma artistique pour chaque histoire. Dans ce schéma, on retrouve des imitations de collages et de découpages d’éléments en lien avec les passions de chaque enfant, des dessins plus isolés et souvent disposés sous forme de mosaïques et puis des simples ou doubles pages beaucoup plus contemplatives avec des paysages qui occupent la plupart de l’espace. On prend alors le temps de contempler ces dernières, de ne pas dévorer le texte mais plutôt de l’assimiler en observant les illustrations dans lesquelles on distingue des traits volontairement visibles de gouache, de feutres, de crayons de couleur…

Collections accorde une grande importance au temps. Tant dans la forme avec un rythme et un équilibre entre le texte et l’image que dans le fond. Le livre parle en effet du temps qui s’écoule. Une semaine pour raconter les trésors de chacun, des saisons qui défilent sous nos yeux. Un passe-temps inscrit dans une temporalité plus ou moins longue, on ne sait pas et on ne veut pas vraiment savoir. Qu’adviendra-t-il des mains, des fleurs et des galets ? On voit que parfois, les collections sont une affaire de famille, de génération. Elles traversent les âges sans tomber dans l’oubli. Alors, on espère.

C’est alors que, lorsqu’on a fini de lire la collection de Lucien, celle du dimanche, le livre nous rassure. Il nous rassure avec la collection de Christian Boltanski. Huitième personnage auquel aucun jour de la semaine n’est assigné. Christian, c’est pour « tous les jours » et c’est l’unique personnage duquel on connaît le nom de famille. Il s’agit en effet d’un artiste plasticien français reconnu. Sa collection à lui, dans le livre comme dans la vraie vie, c’est les battements de cœur. Collections fait donc écho à l'œuvre de l’artiste Les archives du cœur dans laquelle il invite les visiteurs à enregistrer leurs battements de cœur afin qu’ils puissent participer à son projet sur la mémoire. En lisant, on se demande alors si c’est Christian qui a inspiré la création de cet album, si c’est lui le chef d’orchestre et le gardien de tous ces battements. Ceux de Pio, Suzanne, Louise, Lucien, Omar, Madeleine, Cléo et sa maman, Lise ainsi que de tous ceux qui poseront les yeux sur ce livre s'ils le désirent. Christian Boltanski clôt ainsi la série de collections et nous rappelle une dernière fois les thèmes principaux abordés à savoir la mémoire, le souvenir et le temps qui passe.

Christian pense que de cette façon
il sauve la petite mémoire,
la tienne, la mienne,
et qu’ainsi ton coeur continuera à battre
même quand tu ne seras plus là,
oui, même après toi.

Alors, comme un enfant qui découvre un nouveau trésor, « mon cœur a battu si fort qu’il a fait trembloter tout mon corps » lorsque j’ai ajouté Collections à la petite étagère déjà bien chargée de ma bibliothèque. Victoire de Changy et Fanny Dreyer ont réussi à me donner l’impression de faire partie de cette ronde d’enfants, de ceux qui donnent vie aux objets et qui voient en eux la beauté de la simplicité.

Collections

Victoire de Changy (texte) & Fanny Dreyer (illustration)
La Partie, 2023
120 pages