critique &
création culturelle
Ni juge, ni soumise
le retour de Madame Sans-Gêne

Ni juge, ni soumise , le documentaire réalisé par Jean Libon et Yves Hinant, présente Anne Gruwez, personnage haut en couleur, dotée d’un caractère bien trempé et complètement… décomplexé. C’est arrivé près de chez vous, c’est du made in Bruxelles .

Dans la lignée de l’émission culte

Strip-Tease

, Jean Libon et Yves Hinant sortent sur grand écran

Ni Juge, ni soumise

. À l’aide du producteur Bertrand Faivre, les deux réalisateurs font réapparaître un une des figures de

S-T

: Anne Gruwez, la juge d’instruction. Durant 3 ans, elle sera suivie et filmée de près dans son travail par le duo.

Les personnages du film restent fidèles à ceux qu’on a l’habitude de voir dans cette émission : pittoresques, originaux, mais aussi de parfaits « numéros ». Ces mêmes particularités définissent aussi Anne Gruwez qui se distingue d’emblée par son attitude, sa manière d’être. Au-delà de ce caractère atypique, le spectateur peut se poser la question d’une forme d’exagération. Il y a une ambiguïté créée par la mise en scène, entre le personnage exerçant sa fonction qui demande une certaine autorité et le rôle qu’elle se donne face à la caméra mais aussi face aux autres. Si ce n’est pas un surjeu, nous n’en sommes parfois pas très loin.

La narration se construit en deux étapes. D’une part on suit l’histoire d’Anne Gruwez avec son rat comme animal de compagnie, ses trajets dans Bruxelles en petite 2CV bleue et son bureau, lieu de travail dans lequel les accusés défilent les uns à la suite des autres. On la suit également dans une vieille affaire, un cold case sur la mort de deux prostituées. Comme l’absurde est le maître mot, cette enquête aboutira finalement à (attention, spoiler) … rien ! C’est le constat de l’échec. Mais cette intrigue ne gâche en rien le burlesque et l’esprit corrosif du film. Toutefois, face au comique, nous sommes jetés dans un profond désarroi qui complique la relation entre spectateur et « acteur ».

Du début à la fin du film nous rions, surtout à cause du ridicule des scènes et des situations cocasses dans lesquelles les protagonistes sont littéralement mis à nu par une forme de voyeurisme qui ne préserve aucune intimité. Dès lors le burlesque et l’absurde font leur apparition, à nos yeux de spectateur averti, voire friand de ce genre. Mais au-delà du simple comique, nous devons enclencher notre sens critique et revoir notre point de vue. Si le comique a toujours été un formidable outil d’interaction entre le public et l’écran-film, mais aussi tout simplement un vecteur d’émotion, il doit parfois être aussi remis en question. Dans le cas de ce documentaire, l’humour paraît certes être le signe du caractère décomplexé de ses personnages, mais il peut toutefois susciter de vraies questions d’ordre moral.

Anne Gruwez est une véritable (anti)héroïne moderne qui, dans cette narration, mène l’enquête de bout en bout mais ne réussit guère. Finalement elle devient une looseuse digne d’une mauvaise série policière , qui ne peut réaffirmer son autorité qu’en se confrontant aux accusés dans son bureau de la place Poelaert, sans cacher son malin plaisir à les rabaisser. Et c’est là que le bât blesse. En dévoilant les outrances de la juge, les réalisateurs mettent à nu les autres personnages. La méthode pose question, surtout lorsqu’ils dévoilent leur détresse. Anne Gruwez joue de toute son excentricité face à ces présumés coupables, qui risquent souvent une lourde peine de prison, rappelons-le. Quant à nous, spectateurs, nous sommes partagés entre le rire et l’embarras.

Si Jean Libon et Yves Hinant prétendent vouloir prendre le contre-pied de la télé-réalité, il n’en reste pas moins que Ni juge, ni soumise est un produit de spectacle dont l’héroïne, Anne Gruwez est la vedette principale. Certes, en prenant soin de ne pas intervenir à travers un procédé comme la voix-off, les deux réalisateurs récupèrent la vraie vie d’une juge pour nous la faire paraître « telle qu’elle est ». Mais ce processus ne tient pas vraiment la route, car il ne tend pas à dénoncer l’illusion du spectacle mais plutôt à la conforter en mettant en scène un personnage devenu star, et tout cela en perdant de vue la dignité des accusés qui restent encore des innocents aux yeux de la loi.

Ni juge, ni soumise pose ses limites, mais n’a-t-il pas le mérite de nous faire poser la question éternelle : peut-on rire de tout ?

Même rédacteur·ice :

Ni juge , ni soumise

Réalisé par Jean Libon et Yves Hinant

Belgique , 2017

99 minutes